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Entretien avec Marion Coste, maîtresse de conférences en littératures francophones à Sorbonne-Université.

jeudi 25 juillet
La parole à

Marion Coste est maîtresse de conférences en littératures francophones à Sorbonne-Université. Ses recherches portent sur les relations de la musique et de la littérature, en littératures française et francophones et dans le rap francophone. Elle a produit plusieurs livres et articles sur les relations de Michel Butor, Léonora Miano, Kossi Efoui, Koffi Kwahulé, Daniel Maximin avec la musique, pour voir comment cet art renouvelle leur écriture et les invite à des écritures hybrides. 

Elle a réalisé une thèse intitulée :

« Une leçon de musique donnée aux mots : le refus des frontières dans l’oeuvre de Michel Butor« 

Directeur(s) de thèse : Mireille Calle-Gruber, Laure Schnapper

Votre thèse portait sur les liens entre Michel Butor et la musique. Qu’est-ce qui vous a amenée vers ce sujet et pourriez-vous nous en présenter les grandes lignes ?

 

J’ai longtemps voulu être musicienne professionnelle, et j’ai suivi une formation professionnalisante en conservatoires en parallèle de mes études littéraires, jusqu’à la fin de mon master de littérature. J’ai aimé la littérature avec des oreilles de musicienne, y retrouvant le même plaisir et les mêmes ouvertures. J’ai retrouvé chez Butor cette façon d’envisager la littérature, la langue même, comme un cas particulier de l’expression musicale et sonore, et une volonté puissante, peut-être inégalée, à penser ces deux arts dans une continuité.

Il y a aussi eu, au cœur de ce projet de thèse, les rencontres fondamentales qu’on été pour moi Mireille Calle-Gruber, ma directrice de thèse, qui préparait à l’époque les œuvres complètes de Butor, et Midori Ogawa, enseignante japonaise invitée dans mon université, qui m’avait orientée vers cet écrivain, connaissant mon appétence musicale.

Ma thèse a consisté à penser l’écriture de Butor depuis l’influence de la musique. On envisage souvent l’œuvre de Butor depuis le prisme théorique du Nouveau Roman, prisme théorique qui me semble parfois inapte à saisir certaines explorations sensibles de l’écriture butorienne, surtout quand elle se fait dans la compagnie des artistes, et notamment des musiciens. Au contraire, je suis partie des théories musicales des années 60-70, que Butor connaissait fort bien : celles d’Henri Pousseur, son grand ami et principal collaborateur musicien, Jean-Yves Bosseur, avec qui Butor a aussi produit plusieurs œuvres, d’Arnold Schönberg et Pierre Boulez. J’ai lu les textes de Butor, y compris ceux écrits sans évocation directe de la musique, comme un dialogue noué avec cet art. Et je n’ai eu qu’à suivre un chemin manifestement présent dans la façon d’écrire de Butor : partout j’ai lu des appels à une lecture musicale de son œuvre, lecture musicale nécessitant des connaissances musicologiques précises, ce qui explique peut-être pourquoi cette thèse n’avait pas déjà été écrite.

J’ai ensuite eu le bonheur de rencontrer des musiciens avec qui Butor avait collaboré, et partout j’ai trouvé une joie de l’accueil et du travail-avec, qui reste pour moi l’une des marques artistiques de Butor.

1961-Michel Butor-Henri Pousseur, crédit Marie-Jo_Butor

Avez-vous pu rencontrer l’écrivain et visiter Lucinges ?

Oui, j’ai rencontré plusieurs fois Michel Butor, à Paris et à Lille, et surtout, à la fin de ma thèse en 2014, à Lucinges, où il m’avait reçue dans son bureau.

Il m’avait montré un grand nombre de livres d’artistes que je n’avais pas pu consulter jusque-là, et qui m’ont aidé à comprendre que pour Butor, la musique est aussi un art graphique, et l’importance de la partition dans son écriture, en tant qu’objet graphique.

J’ai aimé aussi le rencontrer à Lucinges, dans un environnement qu’il avait choisi et qui disait quelque chose de sa manière d’écrire et de sa manière d’être à la fois en dialogue et à l’écart.

Tetraedre, Michel Butor et Bertrand Dorny, édition Despalles, 1989, 30 exemplaires, collection Manoir des livres

Vous avez réalisé depuis plusieurs interventions et publications sur le même thème. Pourriez-vous nous les présenter ?

Outre plusieurs articles dans lesquels j’explore la dimension musicale de l’écriture butorienne, j’ai écrit un livre qui rend compte de mon expérience de dramaturge pour l’opéra variable Votre Faust, que Butor a co-écrit avec le musicien belge Henri Pousseur. J’ai été invitée en 2016 par Aliénor Dauchez à préparer un livret et à expliquer le texte aux comédiens de la compagnie La Cage et aux musiciens de l’ensemble TM+, pour préparer avec eux la première mise en scène en France de cet opéra composé entre 1960 et 1969.

Votre Faust, Michel Butor, Henri Pousseur, 1973, collection Manoir des livres

La musique est souvent présente dans la composition des livres d’artiste de Michel Butor, à travers des collages de partitions, des références musicales… On peut citer par exemple quelques livres avec Ania Staritsky, Youl, Henri Pousseur et bien d’autres… pour quelles raisons principales selon vous?

BUTOR Michel, BOSSEUR Jean-Yves, DRUET Roger, JALLEAU Franck, Imprimerie Nationale Edition 1994, Gouvieux, Paris

Parce que pour Butor, l’écriture entraine la musique et la peinture : la disjonction des arts est un phénomène moderne et partiel, qui ne permet pas de rendre compte d’une sensibilité butorienne ouverte aux quatre vents.

 

Quels sont d’après vos recherches, les principaux apports de Michel Butor envers les musiciens ? et pour quelles raisons ces derniers aimaient-ils collaborer avec lui ?

SEIZE ET UNE VARIATION D'ALBERT AYME, Jean-Yves Bosseur, Michel Butor, édition Traversière, 1983

D’après les témoignages mêmes des musiciens que j’ai pu lire, notamment celui de René Koering lors d’un colloque à Cerisy consacré à l’écrivain, Butor offrait aux compositeurs une langue toujours-déjà musicale, par son rythme et ses potentialités d’évocation.

Je pense aussi que Butor a travaillé la langue à des niveaux macro-structurel, organisant certains textes comme des fugues, des rondeaux, ou des compositions sérielles, délaissant la continuité chronologique du roman classique, pour procéder par thèmes qui viennent et reviennent, s’entrecroisent et entrent en résonnance : sa manière de traiter la matière textuelle s’accordait avec celle dont un grand nombre de compositeurs traitaient la matière sonore.

Quels sont vos projets actuels ? (publications, colloques à venir…)

Mireille Calle-Gruber et moi-même préparons actuellement un ouvrage sur les relations entre Michel Butor et la musique, qui paraîtra à l’automne 2024 chez HD Diffusion. C’est un projet très enthousiasmant ! Nous avons récolté à la fois des textes écrits par des spécialistes universitaires, des livres d’artistes incluant des partitions dont certaines photographies nous ont été transmises par le Manoir des livres, des photographies d’archives rendant compte des collaborations musicales de Butor et des textes inédits de l’écrivain en lien avec la musique. Nous avons aussi tenu à montrer que les textes de Butor ne cessent d’inspirer la création musicale  et ouvrent à des dialogues imprévisibles et féconds, notamment avec une mise en musique d’un poème de Butor, « Le phare naufragé », par une chanteuse libanaise, Carole Medawar. 

Sélection bibliographique, communications autour de Michel Butor

Marion Coste, Votre Faust. La création en partage, Presses universitaires de Franche Comté. « Annales littéraires », 2019

Marion Coste, Une leçon de musique donnée aux mots : les collaborations musicales de Michel Butor avec Ludwig van Beethoven et Henri Pousseur, Presses de la Sorbonne-Nouvelle, 2017

Marion Coste, « Compte rendu du Cahiers Butor 2 : Michel Butor et les peintres, sous la direction de Mireille Calle-Gruber et Patrick Suter », Écriture et image : cahiers du CEEI, décembre 2022. ISSN 2780-4208

Marion Coste, «Rien n’est plus dangereux pour un musicien ou un peintre que de s’intéresser à la littérature” : l’ombre de l’écrivain dans Votre Faust d’Henri Pousseur et Michel Butor », Comparatismes en Sorbonne, 2022. ISSN 1962-8927

Marion Coste, « Une leçon de musique donnée aux mots : ruser avec les frontières dans l’œuvre de Michel Butor [A music lesson given to words : Outwitting frontiers in the works of Michel Butor] », Littératures. Université Sorbonne Paris Cité, 2015. Français. ⟨NNT : 2015USPCA109⟩2015

Claude Ollier, quand le texte dresse l’oreille , Du théâtre aveugle au texte-partition : les œuvres radiophoniques de Michel Butor , Voix, féminin et érotisme dans Jules (1967) et Récréation (1987) de Monique Wittig
Jeudi 19 novembre 2015

Marion Coste, « Du théâtre aveugle au texte-partition : les oeuvres radiophoniques de Michel Butor »
Samedi 19 septembre 2015

 

 

 

 

 

Les Cahiers Butor 2, Mireille Calle-Gruber, Patrick Suter