Je suis né en 1969 à Lugano en Suisse italienne, j’ai donc grandi en « italophonie » jusqu’à ma maturité. Ensuite, je suis parti du côté de la Suisse romande. D’abord à Fribourg, où j’ai fait mes études universitaires, que j’ai ensuite complétées à Genève par un diplôme d’études supérieures (aujourd’hui on dirait peut-être un Master en Lettres.) J’ai plutôt une spécialité en lettres italiennes et philologie romane. J’ai poursuivi avec un peu de littérature médiévale française à Genève.
Une fois diplômé, j’ai exercé le métier d’enseignant pendant trois années en tant que professeur d’italien. J’ai compris que ce n’était pas ce que j’avais envie de faire toute ma vie. Et je me suis réorienté vers le métier de libraire. J’ai d’abord travaillé une année dans une librairie de livres d’occasion qui existe toujours: « Les Recyclables ».
Ensuite, la ville de Genève cherchait un libraire pour gérer la librairie du Musée d’Art et d’Histoire. Pendant 10 ans, de 2002 à 2012, j’ai été libraire au sein du musée tout en restant indépendant.
Aujourd’hui, je travaille à la Fondation Martin Bodmer, à Cologny, en tant que collaborateur scientifique, responsable de l’accueil et de la librairie.
C’est un cas assez répandu chez les libraires d’avoir aussi envie de faire ses propres livres. Quand j’étais enfant, j’avais une très grande amie (que j’ai toujours), que je considère un peu comme ma grande sœur. Il se trouve qu’elle est petite-fille et fille de libraire et libraire elle-même, aujourd’hui ! On a grandi un peu ensemble, on était souvent dans l’entrepôt de la librairie. Son papa nous laissait prendre un ou plusieurs ouvrages… Et ainsi, le livre nous a habité très tôt.
En 2006, j’ai eu l’envie de commencer à faire des livres en tant qu’éditeur. Le stimulus principal à ce moment-là, c’est une demande régulière de la part des visiteurs du Musée d’Art et d’Histoire. Des amateurs, des historiens de l’art, qui recherchaient des ouvrages qui n’existaient pas ou qui étaient épuisés depuis longtemps et difficiles à trouver. Le premier projet a été le Traité des principes et des règles de la peinture, édité par Jean-Etienne Liotard (Genève, 1702 – Genève, 1789): un artiste majeur des collections du musée de Genève. Si on m’avait dit il y a 18 ans, que j’allais recevoir en moyenne, trois propositions de textes à publier par jour (jeunesse et adultes) ! Probablement que j’aurais hésité
En tant qu’éditeur, on a publié notamment des textes illustrés pour la jeunesse, en commençant par en publier des traductions. Je les considère presque comme des livres d’artistes. Il s’agit aussi d’un dialogue entre un écrivain et un plasticien. La différence principale étant le nombre de tirages plus conséquent. On publie aussi des livres en plusieurs langues, des textes avec des artistes. La ligne éditoriale consiste à opérer des croisements entre les arts plastiques et la littérature (écrits d’artistes, regards d’écrivains, illustrations), à favoriser des décloisonnements entre divers domaines de recherche et d’expression (botanique, philosophie, poésie…), ainsi qu’à donner une trace à des événements culturels (catalogues d’expositions, actes de colloques…)
J’ai rencontré Michel Butor à l’époque où je travaillais au musée. La rencontre s’est faite par l’intermédiaire des artistes suisses Catherine et Axel Ernst, qui ont d’ailleurs exposé au Manoir des livres en 2010, notamment Catherine pour les ouvrages Errances botaniques et Epîtres florales, aux éditions Slatkine. Ces livres présentant des fleurs alpestres et des textes poétiques m’avait beaucoup plu.
Pour moi à cette époque, Michel Butor était une sorte de monument de la littérature, que je ne pensais pas pouvoir rencontrer et dont je ne connaissais pas au départ tout le travail autour des livres d’artistes. Notre première véritable collaboration est la reprise de textes épuisés sur Genève qu’il avait précédemment publiés dans les années 80-82 sans image, dans une collection qui éditait des sortes de guides touristiques en donnant la parole à des artistes: “Les villes rêvées”. On me le demandait régulièrement à la boutique du musée. Un jour, j’ai fini par le trouver. Michel Butor y donne son point de vue sur certains lieux de Genève. J’avais envie de le republier tel quel, mais en y ajoutant des photographies et des croquis. Je l’ai proposé à une photographe et un artiste qui faisait des croquis, rencontrés au musée: Nathalie Sabato et Mickaël Cacioppo. L’ensemble se compose de petits textes anecdotiques accompagnés de photos et de dessins. Le livre s’appelle Genève dans son changement.
Juste avant, il y a eu une collaboration pour la publication d’un texte sur l’artiste américain Jasper Johns : Comment écrire pour Jasper Johns. Ce livre a été publié en trois langues, français, anglais et allemand, puisque toutes les œuvres de l’artiste reproduites dans l’ouvrage sont conservées au musée de Bâle. Le texte de Michel Butor est plutôt un texte poétique et non un texte sur l’artiste, présenté sous la forme d’un Almanach. Ensuite, il y a eu un livre avec Catherine Ernst, à qui je dois notre rencontre, intitulé Montagnes en gestation, et ensuite encore un livre sur le Japon et le fleurissement des rues par les habitants: Jardins de rue au Japon, avec des photographies d’Olivier Delhoume, livre totalement épuisé aujourd’hui. Puis il y a eu ce projet à double entrée, Cent instants japonais/ le temps du Japon, d’un côté du livre, vous avez les photographies de Marie-Jo Butor, prises lors de leur voyage au Japon avec Michel, chaque photo est accompagnée d’un texte de Michel Butor; de l’autre, des photographies d’Olivier Delhoume avec des textes de Michel, ainsi que de Jacques Boesch et de Lucien Curzi.
Le dernier, c’est La grande armoire, avec des photographies d’Olivier Delhoume, livre prévu pour le quatre-vingt-dixième anniversaire de Michel en 2016 mais hélas sorti après son décès. Il y commente avec beaucoup de détails 80 objets sortis de sa grande armoire de Lucinges, une sorte de testament. Il y a eu aussi : Altesses de la basse-cour, des poèmes de Michel Butor qui accompagnent des photographies de « vraies poules » de Daniele Ferroni mais aussi de « fausses poules », sculptées par l’artiste italien Giovanni Tamburelli. Au-delà des poules, le thème est plutôt celui du pouvoir et de la politique.
Le dernier livre m’a été commandé par la fondation Bodmer où je travaille, à l’occasion d’une exposition de la donation de l’écrivain: Bibliotheca Butoriana Bodmerianae – Les livres d’artistes de Michel Butor à la Fondation Martin Bodmer.
Il y a au moins deux petits volumes qui devraient paraître en 2026 et toujours des projets jeunesse… J’ai un peu réduit le rythme ces dernières années.