A 7 ans, déguisée en dame du 17e siècle je rêve d’être comédienne, je sais que vivre nue dans la nature ressemble au paradis. J’aime les mains de ma mère, ses musiques et ses chants, ses livres dont il faut séparer les pages avec un couteau. Je rêvasse devant les petits tableaux, dessins, peintures, tapisseries ou objets artisanaux achetés par elle qui décorent la maison. L’école est, et sera toujours un lieu d’échec, éprouvant, dont je ne comprends pas le sens. J’élève des vers à soie, je joue avec la couleur dans un atelier de peinture. Dans une école libre je lis les essais de Montaigne, Antigone d’Anouilh. En 1977, j’ai 16 ans et rêve d’une vie libre et aventureuse. Je conduis des motos et danse dans les boites de nuit.
Anéantie par le décès de Rachel, ma petite sœur, en traitement contre une Leucémie depuis 5 années je comprends que seuls la jouissance et l’amour sont ma force contre le chagrin et la mort. Je découvre la danse, je suis amoureuse d’un peintre, je comprends que « savoir » dessiner n’est pas un don. J’aime, je danse, je peins. Je loue mon premier atelier, j’ai 23 ans.
A 28 ans j’aime la peau du sol et la carapace des murs que je photographie. Taches, brèches, accidents, accrocs, trous, peintures qui s’écaillent, coulures sont mon voyage. J’ai vu des livres d’artistes chez Michel Butor à Nice. Nous sommes un collectif d’artistes réuni dans une association C.A.S qui édite et produit des spectacles. Francis Colonel est un ami, il écrit. Je lui demande si je peux utiliser son texte J’ai traversé le Tibet à cloche-pied pour faire un livre. (1989 J’ai traversé le Tibet à cloche-pied, Texte Francis COLONEL. Editions du C.A.S).
En 1992 je suis séduite par une « nouvelle » de Rufus. Je lui écris mon désir d’associer une image à ses mots lui joignant une proposition de dessin à imprimer en sérigraphie. Joie de sa réponse enthousiaste et de notre rencontre. (1993, Poésie perdue, Texte RUFUS. Editions du CAS).
Avec Arnaud Berger je fais mon premier livre entièrement à la main. Nous sommes amis et complices. Je découvre la gravure et le plaisir de reproduire des images avec une presse. Les empreintes de toutes sortes me fascinent : plume, bout de carton, papier froissé, ficelle, coton, racines… Des nuanciers de peinture récupérés font le papier. Arnaud vient me voir construire le livre, il manuscrit son texte directement sur les images (1995. Diapason. Texte Arnaud BERGER. Editions du CAS).
Je pense à l’espace, à l’espace partagé du livre, au chemin d’amitié, de complicité qui se tisse avec les écrivains, les éditeurs. Désirs, questionnements, rêves, nous nous offrons mutuellement nos « mondes en construction », nous jouons. Le travail de peintre ou d’écrivain est très solitaire. Le livre d’artiste est un entre deux solitudes… très intime car il faut se jeter à l’eau de l’autre. Ce chemin de relations singulières m’apporte beaucoup de joie. Plastiquement, il me permet de trouver des formes, des espaces, d’expérimenter de nouveaux matériaux. J’ai même réalisé quelques dessins qui se déplient comme des livres.
C’est André Villers, photographe, qui a invité mon compagnon Pierre Leloup à réaliser un livre avec Michel Butor Don Juan dans la propriété des souffles.
J’avais 20 ans… Nous sommes allés à Nice… Je me souviens d’une maison en hauteur, de grands escaliers et de Michel nous accueillant sur le perron. À un moment de la conversation, il nous dit devoir s’absenter et nous ouvre une grosse cantine pleine de livres d’artistes. Il a dit alors quelque chose comme :
«…Voilà des livres qui devraient vous intéresser… regardez, regardez… vous pouvez les sortir.»
C’est bien des années plus tard, en 1996, à l’occasion d’une exposition que nous organisions avec Pierre que Michel m’a invitée à lui proposer quelque chose. Pas du tout sûre de moi, j’ai préparé deux choses, lui suggérant de choisir… C’est ainsi que Toasts et Chemin de table 1 sont nés.
C’est d’abord le désir qui est là, après… je guette le surgissement d’une idée nouvelle. Chaque livre a son histoire en lien avec la vie. Par exemple, pour La dame à la grenouille le déclencheur est le hasard, la découverte d’un crapaud écrasé. Pour Sarajevo Blues, c’est la guerre en Afghanistan. Pour Le dialogue des veufs c’est la chaleur de notre amitié… Ensuite je conçois et réalise le livre, que j’apporte ou envoie à Michel.
Par exemple pour Le velours des dictionnaires dont nous avons fait deux versions différentes, j’ai donné à Michel six cahiers d’écolier peins au jour le jour, recouverts d’un tissu velours. Pour chacune des pages il a manuscrit son texte sur un petit papier de soie découpé et collé au scotch. Quand je découvre ses découpages et son texte si particulier, j’éventre un vieux dictionnaire sur les pages duquel je fais des empreintes, auxquelles j’associe des figures antiques… je déplace les petits papiers de soie le temps d’imprimer en photocopie une nouvelle série de livres que je couds et recouvre de tissu. J’apporte à signer et partager avec Michel cette nouvelle version du livre.
Cette exposition présentera l’ensemble des livres d’artistes que j’ai réalisés en complicité avec des écrivains entre 1989 et 2022.
Il y aura également, dans le hall d’accueil un grand dessin au fusain Les SDF, 2016- 2017, fusain sur papier marouflé sur toile (11m x 2,50m) et au pied des escaliers quelques portraits d’une amie extraits de Maryline WhatsApp, 2021, graphite, encre et crayon de couleur. 35x (33 x 51 cm).
Deux grands dessins en cours à l’atelier: La Vieillesse et Les Aveugles.
Une exposition en préparation pour le Musée du Tisserand à La-Bâtie-Montgascon qui aura lieu du 30 mars au 1er juillet 2022.
Un livre à paraitre en février aux éditions Notari J’ai besoin de nos corps précédé de A l’orée du semoir, poèmes Isabelle Roussel-Gillet, dessins Mylène Besson.