C’est un carré blanc.
C’est une piscine dans laquelle se plonger.
C’est une fenêtre qui donne sur la brume du matin.
C’est un nuage à l’intérieur duquel notre avion effarouche une délégation d’oiseaux.
C’est une moisson écrasée de soleil au milieu de laquelle saignent des coquelicots respirent des bleuets, se faufilent des renards.
C’est un champ de neige sur la pente de la montagne où marquer des traces de pas, des paraphes de ski avant de descendre au refuge où veille la lampe.
C’est un mur sur lequel dégouline la pluie, où les lichens développent leurs volutes, les lierres élargissent les fissures où s’engouffrent les foules en colère.
C’est une vallée entre les dunes de sable où se rencontrent des caravanes venues de continents différents pour mettre en commun leurs trésors, manuscrits, enluminures, gravures, peintures, architectures et transformer le désert en jardins de travaux exquis.
Voici une feuille de papier — Michel Butor, 2009
Le livre partagé désigne un livre dessiné ou peint par Mylène Besson adressé à un poète qui écrit dans les blancs qu’elle laisse ou ailleurs. Le livre à quatre mains n’est donc pas un livre illustré, mais un ensemble iconographique dont le poète délivre un sens. Mylène Besson place ainsi le livre comme un dispositif, une contrainte, une direction dont le sens n’est pas déterminé. Le mot n’y est pas premier. La conversation commence sans mots, naît de la matière du livre que le poète reçoit. Du moins pour la première collaboration, ensuite une complicité peut prendre le pas, ce qui fait qu’elle envoie en fidélité autant qu’en connaissance de cause tel dessin plutôt qu’un autre. Le geste est plus adressé qu’une bouteille en mer ! Quand le livre revient, habité des mots du poète, elle découvre son propre travail, par réfraction, projection, écho. Un retour de lumière et de son. Le poète charge le dessin d’un sens qu’il ignorait et ne peut plus démentir : « Mes phrases sur vos dessins ne seront jamais des reliques, mais des dépôts, des décharges, des cendres » (J.-P. Gavard-Perret, Chutes).
Elle a ainsi réalisé plus de cent soixante livres de 1986 à 2022, en un à deux cents exemplaires, dont trente-cinq avec Michel Butor, de Toasts (1996) à Turbine (2016), vingt et un avec Daniel Leuwers (de 2004 à 2020), seize avec Jean-Paul Gavard-Perret (de 2002 à 2008), douze avec Vahé Godel (de 2002 à 2019), dix avec Fernando Arrabal (de 2007 à 2018), 9 avec Joël Bastard (de 2014 à 2021), neuf avec Michel Ménaché (de 2014 à 2021), neuf avec Pierre Bourgeade (de 2004 à 2009), sept avec Luce Moreau Arrabal (de 2005 à 2010), et six avec Bernard Noël (2005 à 2019). Peut-être y a-t-il contagion, à lire le titre si butorien d’une collection Le Génie du lieu pour un livre réalisé avec Joël Bastard ? Michel Butor eut aimé ce brouillage des cartes ! Lui, le passeur, qui lui fit rencontrer Vahé Godel. Tous ces livres deviennent des espaces intimes partagés, qu’ils soient dits pauvres, cousus à la main en peu d’exemplaires, ou à plus grand tirage dans une gamme plurielle, de l’empreinte au piquage de trous, de la broderie au fusain. Et les graphies des poètes sont tout aussi plurielles, de la dansécriture d’un Arrabal à l’écriture tremblée du dernier livre manuscrit de Pierre Bourgeade.
Extrait du catalogue — Isabelle Roussel-Gillet, 2022
Catalogue édité en 2022 par le Manoir des livres et les éditions Fabelio.
Textes de Mylène Besson et Isabelle Roussel-Gillet.
80 pages • broché • 22€
22 cm x 28 cm
ISBN : 978-2-491-85304-4