C’est un carré blanc.
C’est une piscine dans laquelle se plonger.
C’est une fenêtre qui donne sur la brume du matin.
C’est un nuage à l’intérieur duquel notre avion effarouche une délégation d’oiseaux.
C’est une moisson écrasée de soleil au milieu de laquelle saignent des coquelicots respirent des bleuets, se faufilent des renards.
C’est un champ de neige sur la pente de la montagne où marquer des traces de pas, des paraphes de ski avant de descendre au refuge où veille la lampe.
C’est un mur sur lequel dégouline la pluie, où les lichens développent leurs volutes, les lierres élargissent les fissures où s’engouffrent les foules en colère.
C’est une vallée entre les dunes de sable où se rencontrent des caravanes venues de continents différents pour mettre en commun leurs trésors, manuscrits, enluminures, gravures, peintures, architectures et transformer le désert en jardins de travaux exquis.
Voici une feuille de papier — Michel Butor, 2009
Le livre partagé désigne un livre dessiné ou peint par Mylène Besson adressé à un poète qui écrit dans les blancs qu’elle laisse ou ailleurs. Le livre à quatre mains n’est donc pas un livre illustré, mais un ensemble iconographique dont le poète délivre un sens. Mylène Besson place ainsi le livre comme un dispositif, une contrainte, une direction dont le sens n’est pas déterminé. Le mot n’y est pas premier. La conversation commence sans mots, naît de la matière du livre que le poète reçoit. Du moins pour la première collaboration, ensuite une complicité peut prendre le pas, ce qui fait qu’elle envoie en fidélité autant qu’en connaissance de cause tel dessin plutôt qu’un autre. Le geste est plus adressé qu’une bouteille en mer ! Quand le livre revient, habité des mots du poète, elle découvre son propre travail, par réfraction, projection, écho. Un retour de lumière et de son. Le poète charge le dessin d’un sens qu’il ignorait et ne peut plus démentir : « Mes phrases sur vos dessins ne seront jamais des reliques, mais des dépôts, des décharges, des cendres » (J.-P. Gavard-Perret, Chutes).
Elle a ainsi réalisé plus de cent soixante livres de 1986 à 2022, en un à deux cents exemplaires, dont trente-cinq avec Michel Butor, de Toasts (1996) à Turbine (2016), vingt et un avec Daniel Leuwers (de 2004 à 2020), seize avec Jean-Paul Gavard-Perret (de 2002 à 2008), douze avec Vahé Godel (de 2002 à 2019), dix avec Fernando Arrabal (de 2007 à 2018), 9 avec Joël Bastard (de 2014 à 2021), neuf avec Michel Ménaché (de 2014 à 2021), neuf avec Pierre Bourgeade (de 2004 à 2009), sept avec Luce Moreau Arrabal (de 2005 à 2010), et six avec Bernard Noël (2005 à 2019). Peut-être y a-t-il contagion, à lire le titre si butorien d’une collection Le Génie du lieu pour un livre réalisé avec Joël Bastard ? Michel Butor eut aimé ce brouillage des cartes ! Lui, le passeur, qui lui fit rencontrer Vahé Godel. Tous ces livres deviennent des espaces intimes partagés, qu’ils soient dits pauvres, cousus à la main en peu d’exemplaires, ou à plus grand tirage dans une gamme plurielle, de l’empreinte au piquage de trous, de la broderie au fusain. Et les graphies des poètes sont tout aussi plurielles, de la dansécriture d’un Arrabal à l’écriture tremblée du dernier livre manuscrit de Pierre Bourgeade.
Extrait du catalogue — Isabelle Roussel-Gillet, 2022
Catalogue édité en 2022 par le Manoir des livres et les éditions Fabelio.
Textes de Mylène Besson et Isabelle Roussel-Gillet.
80 pages • broché • 22€
22 cm x 28 cm
ISBN : 978-2-491-85304-4
A 7 ans, déguisée en dame du 17e siècle je rêve d’être comédienne, je sais que vivre nue dans la nature ressemble au paradis. J’aime les mains de ma mère, ses musiques et ses chants, ses livres dont il faut séparer les pages avec un couteau. Je rêvasse devant les petits tableaux, dessins, peintures, tapisseries ou objets artisanaux achetés par elle qui décorent la maison. L’école est, et sera toujours un lieu d’échec, éprouvant, dont je ne comprends pas le sens. J’élève des vers à soie, je joue avec la couleur dans un atelier de peinture. Dans une école libre je lis les essais de Montaigne, Antigone d’Anouilh. En 1977, j’ai 16 ans et rêve d’une vie libre et aventureuse. Je conduis des motos et danse dans les boites de nuit.
Anéantie par le décès de Rachel, ma petite sœur, en traitement contre une Leucémie depuis 5 années je comprends que seuls la jouissance et l’amour sont ma force contre le chagrin et la mort. Je découvre la danse, je suis amoureuse d’un peintre, je comprends que « savoir » dessiner n’est pas un don. J’aime, je danse, je peins. Je loue mon premier atelier, j’ai 23 ans.
A 28 ans j’aime la peau du sol et la carapace des murs que je photographie. Taches, brèches, accidents, accrocs, trous, peintures qui s’écaillent, coulures sont mon voyage. J’ai vu des livres d’artistes chez Michel Butor à Nice. Nous sommes un collectif d’artistes réuni dans une association C.A.S qui édite et produit des spectacles. Francis Colonel est un ami, il écrit. Je lui demande si je peux utiliser son texte J’ai traversé le Tibet à cloche-pied pour faire un livre. (1989 J’ai traversé le Tibet à cloche-pied, Texte Francis COLONEL. Editions du C.A.S).
En 1992 je suis séduite par une « nouvelle » de Rufus. Je lui écris mon désir d’associer une image à ses mots lui joignant une proposition de dessin à imprimer en sérigraphie. Joie de sa réponse enthousiaste et de notre rencontre. (1993, Poésie perdue, Texte RUFUS. Editions du CAS).
Avec Arnaud Berger je fais mon premier livre entièrement à la main. Nous sommes amis et complices. Je découvre la gravure et le plaisir de reproduire des images avec une presse. Les empreintes de toutes sortes me fascinent : plume, bout de carton, papier froissé, ficelle, coton, racines… Des nuanciers de peinture récupérés font le papier. Arnaud vient me voir construire le livre, il manuscrit son texte directement sur les images (1995. Diapason. Texte Arnaud BERGER. Editions du CAS).
Je pense à l’espace, à l’espace partagé du livre, au chemin d’amitié, de complicité qui se tisse avec les écrivains, les éditeurs. Désirs, questionnements, rêves, nous nous offrons mutuellement nos « mondes en construction », nous jouons. Le travail de peintre ou d’écrivain est très solitaire. Le livre d’artiste est un entre deux solitudes… très intime car il faut se jeter à l’eau de l’autre. Ce chemin de relations singulières m’apporte beaucoup de joie. Plastiquement, il me permet de trouver des formes, des espaces, d’expérimenter de nouveaux matériaux. J’ai même réalisé quelques dessins qui se déplient comme des livres.
C’est André Villers, photographe, qui a invité mon compagnon Pierre Leloup à réaliser un livre avec Michel Butor Don Juan dans la propriété des souffles.
J’avais 20 ans… Nous sommes allés à Nice… Je me souviens d’une maison en hauteur, de grands escaliers et de Michel nous accueillant sur le perron. À un moment de la conversation, il nous dit devoir s’absenter et nous ouvre une grosse cantine pleine de livres d’artistes. Il a dit alors quelque chose comme :
«…Voilà des livres qui devraient vous intéresser… regardez, regardez… vous pouvez les sortir.»
C’est bien des années plus tard, en 1996, à l’occasion d’une exposition que nous organisions avec Pierre que Michel m’a invitée à lui proposer quelque chose. Pas du tout sûre de moi, j’ai préparé deux choses, lui suggérant de choisir… C’est ainsi que Toasts et Chemin de table 1 sont nés.
C’est d’abord le désir qui est là, après… je guette le surgissement d’une idée nouvelle. Chaque livre a son histoire en lien avec la vie. Par exemple, pour La dame à la grenouille le déclencheur est le hasard, la découverte d’un crapaud écrasé. Pour Sarajevo Blues, c’est la guerre en Afghanistan. Pour Le dialogue des veufs c’est la chaleur de notre amitié… Ensuite je conçois et réalise le livre, que j’apporte ou envoie à Michel.
Par exemple pour Le velours des dictionnaires dont nous avons fait deux versions différentes, j’ai donné à Michel six cahiers d’écolier peins au jour le jour, recouverts d’un tissu velours. Pour chacune des pages il a manuscrit son texte sur un petit papier de soie découpé et collé au scotch. Quand je découvre ses découpages et son texte si particulier, j’éventre un vieux dictionnaire sur les pages duquel je fais des empreintes, auxquelles j’associe des figures antiques… je déplace les petits papiers de soie le temps d’imprimer en photocopie une nouvelle série de livres que je couds et recouvre de tissu. J’apporte à signer et partager avec Michel cette nouvelle version du livre.
Cette exposition présentera l’ensemble des livres d’artistes que j’ai réalisés en complicité avec des écrivains entre 1989 et 2022.
Il y aura également, dans le hall d’accueil un grand dessin au fusain Les SDF, 2016- 2017, fusain sur papier marouflé sur toile (11m x 2,50m) et au pied des escaliers quelques portraits d’une amie extraits de Maryline WhatsApp, 2021, graphite, encre et crayon de couleur. 35x (33 x 51 cm).
Deux grands dessins en cours à l’atelier: La Vieillesse et Les Aveugles.
Une exposition en préparation pour le Musée du Tisserand à La-Bâtie-Montgascon qui aura lieu du 30 mars au 1er juillet 2022.
Un livre à paraitre en février aux éditions Notari J’ai besoin de nos corps précédé de A l’orée du semoir, poèmes Isabelle Roussel-Gillet, dessins Mylène Besson.
Quand j’écris, je voudrais faire voir les choses. Je voudrais aussi en faire entendre, sentir, toucher, etc. Mais une des choses les plus importantes pour moi, c’est d’essayer de faire voir. Évidemment, on a beau faire, en littérature on n’arrivera jamais à faire voir quelque chose autant qu’un photographe ou qu’un peintre. Mais on peut se rapprocher de cela.
Michel Butor, Légendes à l’écart, 2013
On a longtemps ignoré que parallèlement à son écriture romanesque, Michel Butor pratiquait la photographie entre 1951 et 1962. Cette activité influence durablement son regard de poète, et elle installe pour toujours un viseur dans sa tête. De véritables amitiés se nouent autour des images, et les rencontres avec les photographes jouent un rôle essentiel dans sa création poétique : en regardant « le regarder des autres », le poète découvre de nouvelles « lucarnes » à travers lesquelles mieux approcher le monde. Les photographes proposent à l’écrivain leurs images par curiosité : l’écriture joue le rôle du révélateur en chambre noire qui fait apparaître un texte « balbutié dans la tête de l’artiste ». Chacun travaille pour soi mais toujours côte à côte, en utilisant deux alphabets dans la même langue. Le compagnonnage est réussi : le lecteur ne distingue plus qui du photographe ou du poète illustre l’autre. L’exposition rassemble plus de 200 œuvres nées de collaborations entre Michel Butor et ses photographes, célèbres tout autant qu’amateurs. Imprimées ou manuscrites, des plus petits aux plus grands formats, réalisées à quatre, six mains ou plus encore, elles accueillent texte et images mais aussi monotypes, gravures, peintures, encre, cire, collages, ponçage, photomontages ou surimpressions. Dans ce merveilleux catalogue de l’in-cataloguable, le visiteur est invité à déambuler parmi des productions d’une variété et d’une densité exceptionnelles.
A propos de l’exposition — Adèle Godefroy, mai 2021
Catalogue édité en 2021 par le Manoir des livres et les éditions Fabelio.
Textes d’Adèle Godefroy.
80 pages • broché • 22€
22 cm x 28 cm
ISBN : 978-2-491-85304-4
Telle une archéologue, Barbara Schroeder explore les couches géologiques afin d’en révéler les secrets et la beauté. Son travail, qu’il soit sculptural, pictural ou performatif, creuse la nature dans une logique intuitive et instinctive, proposant des œuvres poétiques et esthétiques. Grâce à ses pièces aussi délicates que vibratoires, Barbara Schroeder offre au spectateur un nouveau regard sur le monde, élevant le cycle de la vie et ses formes primordiales au rang d’œuvre d’art.
Barbara Schroeder a quitté son Allemagne natale à la fin de son adolescence pour élire domicile en Gironde, plus précisément à Teuillac. Ici, la lumière se fait généreuse, la nature abondante et la verdure foisonnante. Sans renier son pays d’origine et l’influence durable qu’il a sur sa production, la campagne devient son sujet de prédilection, lui permettant un exercice de la couleur et une expérience de la prolifération qu’elle partage volontiers avec le public. Cette double culture franco-allemande est une constante dans son travail ; la terre nourricière, source infinie d’inspiration, permet à l’artiste de proposer une œuvre à la fois protéiforme et poignante, faisant la part belle aux savoirs ancestraux et artisanaux, tout en célébrant la vie sous toutes ses formes. Fortement marquée par la chute du Mur de Berlin et en clin d’œil aux couleurs terreuses et expressionnistes de Vincent Van Gogh, à la douce poésie du monde agricole de Jean-François Millet, aux collages obsessionnels de Kurt Schwitters, mais aussi aux matériaux bruts et naturels de Joseph Beuys, Mario Merz ou encore Giuseppe Penone, l’œuvre de Barbara Schroeder résonne avec détermination et justesse dans un monde globalisé et effréné, nous invitant à ralentir, à prendre le temps et à faire l’expérience de la contemplation. Selon ses propres mots : « chaque tableau est le paysage d’un instant ».
Ainsi, la pomme de terre, objet sans prétention et sans réel intérêt plastique au premier abord, devient objet de curiosité tout en rondeurs. Réinventée en porcelaine blanche, « la matière de l’humilité » selon les dires de l’artiste, elle épouse la forme de la cellule originelle et évoque la pureté, mais aussi la patience, à travers des mises en scènes en extérieur comme en intérieur, en photographie comme en vidéo. Par le biais de cheminements et de formes tout en symbole, ses installations en porcelaine tentent de réinscrire durablement l’Homme dans la nature. Rappelant également les Kartoffelsteine, ces monuments érigés en Allemagne en hommage à la pomme de terre pour son rôle indispensable en temps de famine, l’artiste nous laisse entrapercevoir la multiplicité de lectures possibles face à son œuvre. Ainsi, « la pomme de terre serait la loupe qui entraine le regard vers l’intérieur de la terre ».
De la même manière, l’artiste s’empare d’un autre phénomène naturel et en propose une vision séduisante et étonnante. Partant du champignon et de son mycélium – ses filaments souvent invisibles et souterrains qui créent un véritable réseau neurologique de la nature, appelé également le Wood Wide Web – elle traduit sous forme plastique cette interconnexion indispensable et bienveillante, fondement du vivant. Se référant à des organismes végétaux, animaux, fongiques ou bactériens qui transforment la matière organique en décomposition, elle suggère, à travers ses toiles, ses dessins ou encore ses installations, un inévitable renouvellement de notre environnement et une interdépendance essentielle entre les différents organismes vivants.
C’est lors d’une résidence récente à Accous, dans les Pyrénées Atlantiques, qu’elle fait la rencontre d’un vacher et exploite les bouses de vache comme matériau artistique susceptible de parler à la fois de transhumance et de migration, tout en faisant écho à l’histoire d’un terroir et aux vestiges des voies romaines qui traversaient autrefois la fougère. Façonnant des formes simples, ajoutant sporadiquement des pigments pour obtenir différentes teintes, Barbara Schroeder nous offre une œuvre éphémère et puissante de Land Art.
C’est somme toute avec un optimisme non dissimulé que l’artiste produit un travail affirmant son plus profond respect pour le monde agricole et plus largement, la sphère du vivant. À travers une œuvre éclectique et foisonnante, et dans les mots du poète Paul Éluard qui l’accompagne régulièrement, elle invite le spectateur à élever le regard, vers la « verdure du ciel ».
Barbara Schroeder est née en 1965 à Clèves, en Allemagne. Elle vit et travaille à Teuillac, en Gironde. Elle est diplômée d’une maîtrise d’Arts Plastiques et est titulaire d’un DEA de l’Université de Bordeaux Montaigne. Chevalier des Arts et des Lettres, elle expose en France comme à l’international (Afrique du Sud, Allemagne, Autriche, Guatemala…) et ses œuvres ont intégré de grandes collections publiques et privées.
Alice Cavender
Responsable des expositions au Capc Musée d’art contemporain de Bordeaux
J’ai rencontré l’œuvre de Michel Butor pendant mes études d’arts plastiques à l’université Montaigne à Bordeaux. C’était en 1984, je venais juste de quitter mon Allemagne natale pour un séjour d’un an qui s’est prolongé pendant les trente années qui ont suivi. Notre professeur, Jean-Paul Grun, lors d’un cours sur les possibles supports de collage, nous faisait la lecture de l’ouvrage de Michel Butor, « Les mots dans la peinture ». Dans sa palette de mots, Butor présentait un répertoire très varié de formes verbales picturalisées qui résonnait en moi : titres, légendes, noms des modèles, signatures, adresses, sentences, paroles flottant dans l’air, missives peintes, titres de livres ou de journaux, écritures imitées. A l’instar de la gravure religieuse qui m’intéressait à cette époque et dont la portion artistique relève de la fonction illustrative et décorative, je commençais à inclure dans des plaques de cuivre l’écriture comme un élément pictural. Une fois imprimés, donc mis à l’envers, les mots devenaient illisibles, réduits à ce qu’ils étaient au départ : un trait. Aujourd’hui encore, je conserve cette fascination pour l’alliance du mot et de l’image.
Les années passant, j’ai commencé à m’ouvrir à la peinture et, en particulier, à la nature morte. En allemand, on l’appelle nature stylisée et je tenais à montrer comment la nature est bien vivante. En 2005, je venais de terminer une série d’artichauts, après un voyage dans la vallée de la Lune, en Argentine, où les hommes arrachent des trésors au désert aride, à la force de leurs bras. Je souhaitais en faire un livre mais il manquait une dimension essentielle à mon projet : le mot. J’ai pris contact avec plusieurs auteurs. Aucun ne convenait à mes attentes. Les uns étaient trop soucieux de leur style, les autres trop près du sujet.
Personne n’était à la hauteur de Michel Butor qui avait trouvé dans ses collaborations le juste milieu de cet accord sensible. A force de recherches, j’ai trouvé son adresse « A l’écart » à Lucinges, et je lui ai envoyé une lettre avec les images de mes artichauts. J’étais convaincue de ne recevoir aucune réponse. Or, quelques mois plus tard, un paquet m’attendait dans la boîte aux lettres. Plus qu’une réponse, c’était la maquette avec les textes finis qu’il m’offrait. Oui, j’ai toujours considéré que Michel Butor, dans sa générosité, dans son humilité, faisait cadeau de son talent mais aussi de son respect envers la jeune artiste que j’étais. L’ouvrage a été publié par L’Esprit du Temps, la maison d’édition d’un ami.
La compagnie de Michel Butor a ouvert chez moi le goût des livres d’artiste. Toujours dans le but de donner à voir l’invisible beauté du quotidien et notamment les plus triviaux de la famille des légumes, j’ai consacré aux choux de nombreuses peintures, jusqu’à en inventer des nouvelles variétés. Dans cette déclinaison imaginaire, les motifs devenaient des paysages lointains et des repères d’enfance, liés aux champs froids de mon pays natal. Le sujet du chou glacé a inspiré à Michel Butor de nombreux poèmes courts où le mot manifeste son pouvoir magique. En prose, il souligne et célèbre le quotidien de ce légume dans toute sa banalité, avec ses bonheurs, ses malheurs mais aussi toute sa majesté et sa beauté.
Michel a rajouté à notre dialogue une frise prosaïque d’extraits de « La mare au diable » de George Sand, avec le chapitre des noces rustiques qui s’étale en bas de l’ouvrage, comme pour ponctuer la ballade entre les feuilles de chou. Cet ouvrage constitue un point culminant dans mon expérience du livre d’artiste. Les images réalisées à partir de mes peintures ont été peintes au pochoir par les Ateliers du Lys et les extraits du texte de George Sand composées par l’Imprimerie nationale avec une typographie du 19ème siècle, contemporaine de l’écrivain. A sa sortie, le mécène de cet ouvrage, propriétaire d’un cru prestigieux du Bordelais, nous a invités dans sa demeure girondine. Un taxi a été envoyé à Hendaye où Michel passait ses vacances avec sa femme, Marie-Jo. Nous nous sommes retrouvés entourés d’une collection d’œuvres d’art signées par les plus grands artistes internationaux, en train de déguster des flacons légendaires. Michel m’en a encore parlé longtemps après.
Le livre date de 2010. C’est un manuscrit de Michel, peint à 8 exemplaires, quatre pour chacun de nous. A l’image d’un dessinateur, il s’est immergé dans les vagues de couleurs, en adaptant la taille de son écriture aux accidents de mes larges traits de pinceau. Aucun exemplaire ne ressemble à l’autre. On aurait dit qu’il jouait de son manuscrit comme d’une palette. Les vers y étaient disposés de façon non linéaire et jouaient à cache-cache avec la couleur. Je me souviens de ma douce joie le jour où j’ai reçu les exemplaires dans ma boîte aux lettres et où j’ai découvert ma peinture sublimée par ses mots.
Cette expérience du livre d’artiste ou du livre-objet grâce à sa forme sculpturale m’a fait prendre conscience des limites de la peinture. Lors d’une résidence artistique à l’ENSA de Limoges, où j’étais invitée à approfondir le décor sur la porcelaine, pour ne pas perdre de temps pendant que mes pièces cuisaient dans les fours, j’ai commencé à mouler en plâtre mon pot-au-feu du soir. De fil en aiguille, est né mon champ de pommes de terre en porcelaine avec 72 moules et mille tirages de tailles et formes différentes. Elles m’accompagnent dans de nombreux lieux. Je les y installe en fonction des contraintes et des possibilités de l’espace, en extérieur ou en intérieur, sur des murs, au sol, sur des clochers ou dans les arbres. La pomme de terre, les choux, les navets me rattachent à ce que je suis, profondément ancrée dans le sol.
Dans chacun de nos livres, la peinture a été le point de départ et a déclenché l’écriture de Michel mais l’échange a toujours été passionnant. Il a apporté une troisième dimension à la peinture. Un livre d’artiste en dialogue avec un poète, c’est d’abord une rencontre entre deux moyens d’expression qui fait réfléchir au rôle de lecteur ou de spectateur dans l’appréhension d’une œuvre artistique. La réception, l’expérience de la lecture, le toucher de la matière permettent une perception sensitive de l’objet. Un poète évoque aussi la musique quand sa poésie est lue à haute voix. Pour « La valse des choux », j’ai enregistré la voix de Michel lisant sa propre poésie comme une valse, d’où le titre de l’ouvrage. Le rythme et l’intonation changeaient dès le moment qu’il récitait la prose de George Sand.
« Cultiver notre terre », le titre de l’exposition, résume en trois mots précis mon approche qui tente de faire découvrir notre terre-mère sous différents angles. Je m’y emploie avec des techniques sculpturales, picturales ou performatives qui creusent le sujet de la nature dans une logique intuitive et instinctive pour révéler l’indicible beauté de ces choses subtiles qui nous unissent. Elle ouvre un passage vers une découverte plus vaste, plus mystérieuse, une piste tracée par la nature sauvage en chacun de nous. Cet esprit poétique qui habite les pièces en porcelaine et les toiles libres offre au spectateur un nouveau regard sur le monde et le cycle de la vie. Elle nous interroge sur l’agriculture intensive qui remodèle nos paysages et notre manière de consommer sans prêter attention, ni à la provenance, ni à la manière de cultiver nos aliments ou de les produire.
Professeur en Classes Préparatoires aux Grandes Écoles et auteur, spécialiste de la Littérature du XXème siècle, Lucien Giraudo a écrit plusieurs ouvrages sur et avec Michel Butor, entre autres: Pour tourner la page (Actes sud, 1997), Michel Butor, le Dialogue avec les arts (Presses Universitaires du Septentrion, 2006), Petite Histoire de la Littérature française (Carnets Nord 2007), Le Musée imaginaire de Michel Butor (Flammarion, 2015, rééd. 2019).
J’ai rencontré Michel Butor en 1979 à la Faculté de Lettres de Nice. Je suivais l’un des cours du Professeur Michel Launay qui était un de ses amis et qui avait organisé des rencontres entre ses étudiants et l’écrivain. A l’époque Butor était un personnage impressionnant pour moi car j’avais lu plusieurs de ses œuvres, il faisait résolument partie des Modernes, il avait dépassé l’écriture du Roman (donc du Nouveau Roman…), il était notamment en train d’écrire la série des Matière de Rêves et c’étaient là des architectures littéraires qu’il fallait étudier, comprendre, et qui donnaient bien du fil à retordre aux étudiants que nous étions. Par ailleurs il y avait déjà longtemps qu’il travaillait avec les artistes de tous bords : peintres, plasticiens, photographes, musiciens… Lors d’une rencontre il était venu en compagnie du plasticien niçois Henri Maccheroni. Si bien qu’on ne savait trop par quel bout le prendre ! Sur le plan de la création littéraire il débordait quiconque voulait l’enserrer dans une approche universitaire.
Mais quand on était en présence de l’homme, il y avait une bienveillance, une générosité et une simplicité, presque une bonhommie (salopette oblige) qui se dégageaient de sa personne, que l’on avait envie d’aller voir plus au fond. Il rayonnait d’intelligence, de connaissances, mais il avait la délicatesse de vous laisser beaucoup d’espace dans l’échange.
C’était l’époque où Butor habitait à Nice, au-dessus du port, une maison où il y avait de très beaux cactus dans le jardin, ce qui donnait une allure un peu exotique à la demeure, qui devait lui rappeler lointainement le Nouveau Mexique où il avait séjourné quelque temps auparavant. Il faisait la navette entre Nice et Genève pour donner ses cours à l’Université et il m’était arrivé une fois, bien avant cette rencontre au cours de Michel Launay, de l’avoir croisé et reconnu sur un quai de la gare de Nice, sa valise à la main.
Lorsque je suis parti enseigner au Maroc en 1981, dans le cadre de la Coopération – en compagnie de mon épouse Nicole (que j’avais d’ailleurs rencontrée à la fac à ce même cours sur Butor…), nous sommes allés le voir chez lui : il connaissait fort bien le Maroc, il nous recommanda même de nous présenter, de sa part, au Conseiller Culturel de l’époque à Rabat (il s’agissait de Gilbert Bron) ; et ce fut à Tanger que nous avons commencé à recevoir les fameuses « lettres » de Michel (qui sont chacune de petites œuvres d’art faites à partir de cartes postales et d’images découpées et assemblées). Cette correspondance a duré jusqu’à sa disparition.
Entre la date de ma première rencontre avec Michel Butor et la décision d’étudier la collaboration de Butor avec les artistes il s’est écoulé de longues années. Mais je dirais que la possibilité d’étudier et d’approfondir ce sujet particulier qu’étaient les livres d’artiste en collaboration, ne pouvait être réalisée que par quelqu’un qui devait connaître Butor non seulement de façon personnelle mais qui devait aussi le pratiquer depuis longtemps et régulièrement. En effet, rien n’aurait été possible pour moi si Michel Butor ne m’avait pas régulièrement montré des œuvres qu’il réalisait avec les plasticiens, s’il ne m’avait pas communiqué une énorme documentation, donné des reproductions d’œuvres originales et, surtout, s’il ne m’avait pas parlé des artistes avec lesquels il travaillait. Je prenais aussi beaucoup de photographies de ces travaux à faire ou en cours qui arrivaient souvent par cartons entiers et qui encombraient constamment la totalité de son bureau, quand ils ne débordaient pas dans d’autres pièces. C’était chaque fois des territoires artistiques complets qu’il me faisait découvrir. C’est Butor qui m’a dit de me rapprocher de Patrice Pouperon ou de Bertrand Dorny et de les rencontrer; c’est chez lui, à Lucinges lors d’un déjeuner, qu’il m’a fait connaître le photographe Maxime Godard. Tous ces artistes sont d’ailleurs devenus progressivement des amis.
Encore aujourd’hui très peu de ces œuvres de Butor en collaboration avec des artistes ont été publiées (d’une façon ou d’une autre), elles restent pour une large part inconnues, elles sont, au mieux, exposées de temps en temps dans des bibliothèques, des médiathèques, dans des salons du livre d’artiste. C’était donc un beau défi, à l’époque pour un chercheur, de délimiter un tel corpus, soit plusieurs centaines d’artistes (français et étrangers) et près de mille cinq cents œuvres en collaboration, si différentes les unes des autres, pour commencer à labourer un territoire quasiment vierge sur le plan de l’étude universitaire.
On ne peut que se réjouir aujourd’hui, de voir réalisée une structure comme le Manoir des livres à Lucinges qui permet un meilleur accès à un nombre de plus en plus grand de ces œuvres nécessairement confidentielles, qui sont à la fois si étonnantes et si fragiles.
Oui, volontiers. Le sujet de cette thèse consistait à montrer qu’il y a, malgré la bigarrure apparente des écrits butoriens, une profonde unité de cette œuvre prise dans son ensemble. N’importe quel lecteur sera immédiatement frappé par la distance qui sépare, par exemple, les premiers romans avec des séries ultérieures comme Illustrations, Matière de Rêves ou Le Génie du lieu ; à quoi il faut ajouter toutes les œuvres en collaboration ainsi que les textes critiques (naturellement si divers entre eux), les Entretiens, la Correspondance et ainsi de suite. On croirait avoir affaire à plusieurs écrivains à la fois.
En fait l’unité de l’œuvre vient du fait que Butor a toujours organisé sa création à partir du dialogue avec autrui, c’est une œuvre marquée par un constant souci de l’altérité : c’est évident avec les œuvres en collaboration, avec les Entretiens et la Correspondance (je pense, par exemple, à celle avec Georges Perros), mais même dans les premières œuvres déjà la littérature était confrontée à une réflexion sur l’architecture (Description de San Marco), à une réflexion sur la musique (L’Emploi du temps) et Butor déployait déjà un « dialogue » avec les arts. Ce dialogue avec les arts a donc été pour moi le « point suprême », si vous voulez, à partir duquel je pouvais « comprendre » l’ensemble de l’œuvre butorienne.
J’ajouterai qu’il n’a pas été si facile, à l’époque, de trouver un directeur pour une thèse qui était tout de même assez atypique. Michel m’a alors conseillé de m’adresser à Mme Mireille Calle-Gruber, une de ses proches amies et Professeure à Paris VIII, qui a parfaitement supervisé cette recherche.
Proposer des définitions générales, qui seraient toujours « opérationnelles » n’est jamais facile, d’autant plus que Butor a expérimenté de très nombreuses formes de livre d’artiste avec les peintres et les plasticiens. Au départ, bien sûr, le livre d’ « artistes » (l’écrivain étant lui aussi quelque part un artiste, sinon comment expliquer cette attirance de Butor pour ce compagnonnage ?) permet à un écrivain et à un artiste d’œuvrer ensemble, de dialoguer l’un l’autre, chacun avec son langage ; ces livres d’artiste sont généralement caractérisés par leur rareté, surtout lorsqu’ils sont réalisés artisanalement (donc manuscrits), en quelques exemplaires ; ils restent alors d’un prix élevé puisqu’ils entrent généralement dans la catégorie des livres de luxe. Certains livres de Dorny, par exemple, avec une reliure originale créée par un relieur prestigieux, peuvent couter plusieurs milliers d’euros. Inversement Butor a fait aussi des livres « pauvres » (de simples feuilles de papier pliées en deux ou en quatre) dans l’esprit de la collection dirigée par Daniel Leuwers.
Mais la production butorienne nous permet de jouer avec le « livre » d’artiste (et là j’insiste sur le mot livre). Ces œuvres sont faites en collaboration mais elles ne ressemblent plus, dans leur apparence, à un livre avec une couverture et des pages à l’intérieur. C’est ce qu’on appelle alors le « livre-objet ». Par exemple Guignol de voyage (1987) réalisé par Butor et Luc Joly se présente comme un ensemble de dix-huit petits paravents en carton qui sont pliés dans une valise de voyage ; lorsqu’on déploie ces paravents on voit que l’artiste a peint (et découpé parfois) des personnages grotesques (d’où le terme « guignol » dans le titre de l’œuvre) et que Butor leur fait tenir des dialogues ridicules qu’il a peints sur les paravents.
Pour montrer que la définition d’un livre d’artiste n’est pas chose si aisée, je mentionnerai aussi ce que l’on peut appeler « l’anti-livre » : il s’agit d’un livre tellement « minimal » qu’il ne reste plus du livre qu’un support, un fragment de texte, ou qu’il est tellement « minuscule » qu’on arrive à peine à lire le texte. Michel Butor a réalisé une série de « Minuscules » avec le peintre Julius Baltazar. On peut voir la présentation de ces « Minuscules » par Butor lui-même dans le film que nous avons réalisé avec Jean-Lou Steinmann intitulé Michel Butor et ses Livres-objets (2002).
L’intérêt, naturellement, est de faire jouer toutes ces catégories. Un livre d’artiste peut être un livre pauvre s’il y a une certaine « surface de texte », mais s’il n’y a presque pas de mots (ou toute autre forme de contestation ou écart), on est déjà dans une forme d’anti-livre. On peut aussi imaginer qu’un livre d’artiste s’engage dans la voie du livre-objet lorsque par exemple ses pages sont insérées dans une reliure en bois ou en céramique. Les livres d’artiste qui forment des transitions sont donc très intéressants à étudier. Mais cette richesse des formes du livre d’artiste n’est que le point de départ de l’analyse et de l’interprétation du dialogue entre écrivain et artiste, car il s’agit ensuite d’étudier en quoi ces formes du support et du texte (sans parler de la place du texte sur la page) se déterminent, s’appellent et s’enrichissent.
L’ensemble de mes travaux sur l’œuvre de Michel Butor figure dans le Butorweb d’Henri Désoubeaux ou sur mon Wikipédia.
Je me limiterai ici à évoquer : Michel Butor, le dialogue avec les arts (Presses universitaires du Septentrion, 2006) qui reprend les idées générales de la thèse sans trop descendre dans l’étude analytique des œuvres ; c’est un ouvrage de synthèse qui permet d’avoir des idées claires sur l’ensemble de l’œuvre de Butor, mais qui fait évidemment la part belle aux livres d’artiste. Ensuite, comme introduction à l’univers plus spécifique des livres d’artiste, rien ne vaut de le découvrir avec Butor lui-même dans le film Michel Butor et ses livres-objets dont j’ai parlé précédemment et qui fait partie du coffret intitulé Petite histoire de la littérature française, par Michel Butor (Paris, Carnets nord, 2008).
Les autres publications sont essentiellement des monographies qui portent donc sur la collaboration entre Butor et certains artistes, en particulier celle avec Pierre Leloup (dans Pierre Leloup et les poètes, Maison du Livre d’artistes, Lucinges, 2012), avec Georges Badin (dans Les graphies du regard, Heidelberg WINTER, 2013), ou encore avec Julius Baltazar (dans Michel Butor ou l’écriture polytechnicienne, PUF, 2014).
En effet, il s’agit bien, comme vous le dites, d’un réseau de rencontres et d’amitiés qui ont permis à Butor de travailler en collaboration.
Il y a certes des rencontres d’artistes avec Butor qui ne se sont concrétisées que par une seule œuvre en collaboration, mais en général les artistes qui travaillaient avec Michel y prenaient goût, ce qui explique que certains, au fil des années, sont devenus pour lui des amis et ils ont finalement réalisé plusieurs dizaines d’œuvres ensemble. Il y a donc des pratiques artistiques qui se sont déployées sur vingt ou trente ans (peut-être plus pour les plus anciennes). Et l’on comprend que ces artistes soient devenus effectivement des amis de Butor et quasiment des membres de la famille. Pour Michel ce travail en collaboration allait réellement dans ce sens et de façon très consciente : il a pu affirmer que le livre d’artiste le plus réussi « c’est celui dans lequel l’image est nécessaire au texte et réciproquement. Il y a un véritable mariage qui produit quelque chose de nouveau. Un artiste et un écrivain travaillant ensemble réalisent un enfant qui a une certaine indépendance par rapport à ses deux parents ».
« Ma littérature est une littérature de guerre ; j’ai dit souvent plus précisément que c’est une littérature de "résistance". J’ai d’ailleurs écrit un livre en collaboration avec Michel Launay sur ce thème. J’ai toujours écrit en fonction de cette donnée fondamentale : nous sommes toujours en guerre, de toutes sortes de façons et contre toutes sortes d’ennemis, connus ou non. Parmi ces ennemis spécialement dangereux il y a ceux qui veulent nous cacher l’état de guerre ».
Michel Butor (Pour Tourner la page, Actes Sud, 1997).
Enfin derrière ce réseau, fondé sur l’amitié et des relations quasi-familiales, on peut dire que faire œuvre ensemble, dans la perspective butorienne, est aussi une stratégie de lutte pour des temps incertains : cette « collaboration » est un moyen de résister. Butor s’est ainsi trouvé des alliés, fondant ainsi ce qu’il appelle un « compagnonnage héroïque », sorte de société secrète chargée de dénoncer les dysfonctionnements de la société. La plupart des artistes qui se sont rapprochés de lui auraient pu souscrire à cette déclaration de Michel : « Ma littérature est une littérature de guerre ; j’ai dit souvent plus précisément que c’est une littérature de « résistance ». J’ai d’ailleurs écrit un livre en collaboration avec Michel Launay sur ce thème. J’ai toujours écrit en fonction de cette donnée fondamentale : nous sommes toujours en guerre, de toutes sortes de façons et contre toutes sortes d’ennemis, connus ou non. Parmi ces ennemis spécialement dangereux il y a ceux qui veulent nous cacher l’état de guerre » (Pour Tourner la page, Actes Sud, 1997).
En travaillant non seulement sur Butor mais aussi sur « ses » artistes je tenais un discours de critique littéraire ou artistique, mais j’ai pu entrer en contact direct avec les « alliés » de Butor. Les textes que j’écrivais sur eux semblaient les satisfaire et, dans les échanges avec certains, on a été très vite appelé à parler poésie, à penser poésie et finalement, pour répondre à leur demande, je me suis retrouvé à faire des textes poétiques pour les artistes. Ce fut d’abord avec Robert Lobet (un des rares artistes que j’ai fait connaître à Butor) et avec Georges Badin (qui, lui, travaillait régulièrement avec Butor depuis de longues années). Je me suis donc retrouvé à aborder le livre d’artiste à la fois de l’extérieur (comme critique et chercheur) mais aussi de l’intérieur. Sans parler du fait que j’ai organisé plusieurs expositions de ce type de livres en faisant d’ailleurs souvent appel à Martine Jaquemet qui est une spécialiste en la matière, car l’exposition du livre d’artiste réclame un savoir particulier. En effet l’«objet-livre » n’est ni un tableau ni une sculpture et il faut bien le connaître pour pouvoir, d’une part, le mettre en valeur et, d’autre part, calmer la frustration (légitime) des visiteurs ou spectateurs-lecteurs qui ne peuvent naturellement pas tourner les pages de ces livres bien souvent uniques et toujours très fragiles. Tous ces artistes (et d’autres bien sûr) m’ont permis d’acquérir une meilleure connaissance de l’ensemble des étapes qui expliquent le livre d’artiste depuis sa conception jusqu’à son exposition en passant par sa réalisation concrète.
Actuellement je travaille précisément avec Martine Jaquemet : elle me confie régulièrement des ouvrages qu’elle a confectionnés et sur lesquels j’écris des textes ; par ailleurs je fais une étude sur ses propres livres d’artiste qu’elle a réalisés en collaboration avec Michel Butor en tant que peintre et plasticienne. Martine et Michel sont très proches, me semble-t-il, dans leur mode de fonctionnement artistique: ce sont des « solitaires » mais ils sont toujours partant pour travailler en collaboration, toujours disponibles pour œuvrer ensemble, sans même parler de leur grande détermination dans le travail. J’aimerais aussi rappeler que Martine Jaquemet a été ici, à Lucinges et dans l’Agglomération d’Annemasse, la cheville ouvrière qui a permis que s’organisent et se déploient, autour de Butor, de belles réalisations culturelles. C’est là aussi une forme de « collaboration » artistique.
Je viens par ailleurs de faire la connaissance du peintre et plasticien Jean-Pierre Thomas qui vit et travaille en Bretagne ; il a, pour sa part, travaillé régulièrement avec Michel Butor à partir des années 90 (et avec bien d’autres poètes français contemporains). Nous avons beaucoup de sujets de prédilection en commun (la mer et la forêt notamment) et il doit m’envoyer bientôt des livres d’artiste en vue d’une prochaine collaboration.
En couverture : Lucien Giraudo et Michel Butor à Lucinges en 2010, photo de Nicole Giraudo.
L’Archipel Butor a rejoint la fédération nationale des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires le 22 janvier 2021. C’est donc l’occasion de vous présenter cette structure associative qui valorise la littérature et les patrimoines littéraires partout en France (et dans le monde).
La Fédération nationale des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires est une association, née il y a 23 ans à l’initiative d’un petit groupe de passionnés au centre de la France, et grâce au Ministère de la Culture qui a accepté de porter ce projet. Elle a pour objet de proposer et de mettre en œuvre des actions visant à assurer l’existence, la préservation et le rayonnement culturel de maisons d’écrivain, de lieux ou collections, publics ou privés, liés à des écrivains et à l’œuvre écrite d’hommes célèbres de toutes cultures.
Elle rassemble aujourd’hui 260 adhérents, en France mais aussi en Belgique : maisons d’écrivain ouvertes au public, musées littéraires, centres d’archives, de documentation, d’étude et de recherche, bibliothèques conservant des fonds patrimoniaux, sans oublier les associations d’amis d’auteurs qui travaillent à la mise en valeur des œuvres, et aussi des passionnés de littérature tout simplement …
Six réseaux régionaux ; MEPLNA (Nouvelle Aquitaine), Ecrivains au Centre (Centre Val de Loire), la Normandie littéraire, et réseaux Hauts-de-France, Ile-de-France et Sud, qui portent l’action de la Fédération au plus près des territoires.
Elle fait « vivre » la littérature par son portail Internet (en trois langues), ses publications (en particulier son Bulletin semestriel), ses études diverses, ses manifestations comme les Rencontres de Bourges (tous les deux ans) et ses Journées d’étude annuelles, ses actions envers les scolaires, ses ateliers de professionnalisation, ses liens avec les universités, sa bibliothèque spécialisée sur les lieux littéraires…
Six groupes de travail œuvrent en permanence, avec de nombreux partenaires publics en France (Etat, collectivités territoriales, universités…), et à l’étranger. La Fédération est devenue, en 2014, partenaire thématique de la Direction du Tourisme pour l’attribution de la marque Qualité Tourisme.
La Fédération, en établissant des liens entre les différents lieux de mémoire littéraire, travaille pour le rayonnement de la littérature française et francophone sur le territoire national, mais aussi au-delà de ses frontières. Elle est d’ailleurs membre de l’ICOM, section ICLCM (International Council of Literary and Composers’ Museums). Elle coopère étroitement avec plusieurs associations en Europe (au sens large) : l’Association des Maisons d’écrivain de Russie, Case della Memoria en Italie, Espais Escrits en Catalogne, Acamfe en Espagne, et aussi avec la Roumanie, le Portugal, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, etc. Elle travaille actuellement sur un projet de collaboration européenne, qui pourrait aboutir à la création d’un itinéraire culturel européen des maisons d’écrivain, avec l’aide de l’Europe (Programme Europe Creative).
La Fédération nationale des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires vous invite à visiter son site : www.litterature-lieux.com. Vous y trouverez toutes les informations utiles sur ses objectifs et ses travaux, la liste de ses adhérents et de ses partenaires. Vous y découvrirez ses différentes publications (comme la carte de France des maisons d’écrivain, les bulletins d’information…), pour certaines téléchargeables gratuitement. Vous y lirez aussi les actualités de ses adhérents et pourrez préparer vos voyages culturels en visitant le guide (près de 400 fiches) ou la rubrique « Voyages littéraires ». Vous trouverez sur le portail toutes sortes de liens avec le monde du patrimoine et de la littérature …
Faire partager l’esprit de la Fédération : le patrimoine littéraire est vivant. Un fonds littéraire ne doit pas dormir dans une bibliothèque, mais être mis à la disposition de tous, être rendu accessible au public le plus large par le biais d’animations, d’expositions, de spectacles, d’ateliers, etc. Et quel meilleur moyen pour faire la connaissance d’un écrivain que de visiter sa maison, que de ressentir l’atmosphère dans laquelle il vivait, que de s’imprégner des lieux et paysages qui l’ont inspiré ?
La Fédération nationale des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires soutient tout projet visant à mettre en valeur les maisons d’écrivain et les lieux littéraires en France, en Europe et dans le monde.
Fédération nationale des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires
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Sofiane Laghouati est conservateur et chercheur qualifié au Musée Royal de Mariemont, conservateur scientifique coresponsable de la réserve précieuse (période 1830-aujourd’hui).
Depuis 2010, il a réalisé une dizaine d’expositions autour des collections sous sa responsabilité (livres, littérature et arts contemporains et graphiques). Il est également professeur invité à l’Université de Louvain-La-Neuve en Belgique où il enseigne, depuis 2010, la littérature ainsi que l’histoire du livre et de son graphisme.
Auteur de neuf ouvrages, dont des biographies de Michel Butor (2007) et d’Henry Bauchau (2010), auquel il consacre une e-publication numérique (2018), il a réalisé plus de 40 articles portant tout aussi bien sur la littérature, les archives, les livres d’artistes ou les arts graphiques.
Il codirige avec Myriam Watthee-Delmotte (Académie royale de Belgique) et David Martens (Katholieke Universiteit Leuven) la plateforme numérique Littératures Modes d’emploi et, avec ce dernier, le groupe de recherche international RIMELL (Recherches Interdisciplinaires sur la Muséographie et l’Exposition de la Littérature et du Livre).
Il est également membre de plusieurs sociétés savantes et littéraires en Belgique et en France, ainsi que de groupes de recherche internationaux comme le Centre de Recherche sur l’Imaginaire (UCL), l’unité mixte de recherche CNRS/Paris-Sorbonne Nouvelle (Paris3) THALIM (Théorie et Histoire des Arts et des Littératures de la Modernité XIXe-XXIe siècles) ainsi que de FIGURA, le centre de recherche sur le texte et l’imaginaire des Universités de Montréal (UQAM et UM) au Canada.
Je me sens dans une sorte de dette infinie envers l’homme et son œuvre : j’ai l’impression de leur devoir en partie celui que je suis devenu intellectuellement et le métier que j’exerce aujourd’hui. J’ai découvert l’œuvre de Michel Butor à l’adolescence au milieu des années 1990 : je m’intéressais à l’époque à l’alchimie et j’ai eu la chance de lire son article « L’Alchimie et son langage » (1953) qui proposait une hypothèse de lecture très différente de celles développées par la plupart des chercheurs, plus ou moins sérieux, sur le sujet. Puis j’ai lu Portrait de l’artiste en jeune singe (1967) − un récit où quête initiatique alchimique, fiction et autobiographie s’intriquent−, et j’étais à la fois fasciné et dérouté par la liberté qu’il s’octroyait face à la chose littéraire : j’ai voulu comprendre, élucider le mystère alchimique de son œuvre puis j’ai été séduit par ce personnage avec sa grande barbe blanche tout en salopette, timide comme un enfant, d’une créativité et d’une érudition si étendue que je parviens, aujourd’hui encore, difficilement à en discerner tous les contours… C’est ainsi que je suis devenu vers 15/16 ans un lecteur de l’œuvre de Michel Butor : certes, j’ai été souvent désarçonné par ses romans, n’ayant pas alors les clés de lecture ni la maturité ou la culture nécessaires pour saisir les références et leur subtilité, mais j’ai eu, pour la première fois de ma vie, le sentiment qu’avec lui arrivait quelque chose d’inédit à la littérature.
Par la suite en 2004, alors que j’entreprenais une thèse sur Assia Djebar et Claude Ollier − un autre écrivain associé au « nouveau roman »−, sous la direction de Mireille Calle-Gruber, j’ai été amené à découvrir ses essais et cette belle réflexion qui allait toujours de pair avec son activité de création. Le cours de la vie m’a conduit pour un an à Nice en 2005-2006, je vivais à quelques mètres de la Bibliothèque de recherche Romain Gary/Emile Ajar où Butor avait déposé ses archives : il avait vécu à Nice de 1970 à 1986 dans sa maison (Aux antipodes) et, profitant d’un déménagement, se délesta d’une partie de sa bibliothèque (plus de 10 000 livres je crois) et de ses avant-textes (manuscrits, tapuscrits, épreuves corrigées…). Or Mireille Calle-Gruber, qui dirigeait alors l’édition scientifique des œuvres complètes de Michel Butor, m’a demandé d’être son assistant d’édition et de lui fournir une sélection de documents du Fonds Butor pour illustrer la publication. J’ai donc commencé à explorer de plus en plus l’œuvre et les archives de Michel Butor. L’intérêt que nous portions au Fonds Butor a convaincu la conservatrice de la bibliothèque qu’il y aurait matière à une collaboration en vue d’une valorisation patrimoniale des documents : je me suis retrouvé, dans la cadre d’un projet supervisé par Mireille Calle-Gruber et le CNRS, à proposer une tentative de valorisation de ses archives par un travail de génétique textuelle à destination du grand public. C’est d’ailleurs à la suite de ce projet, une fois ma thèse soutenue, que j’ai été engagé pour un projet analogue au Fonds Bauchau à L’Université Catholique de Louvain puis au Musée royal de Mariemont en Belgique.
Ma première rencontre avec Michel Butor a été très formelle : elle a eu lieu à Paris au début de cette période de recherche dans les manuscrits pour les œuvres complètes aux Editions de la Différence ; il m’avait écrit une lettre d’autorisation pour accéder et exploiter le manuscrit de son premier roman Passage de Milan, déposé à la Bibliothèque Nationale Française (site Richelieu) : le document s’achevait par son prénom en signature suivi de la silhouette d’un oiseau en vol suivi d’un trait − comme s’il fallait garder la ligne d’horizon…
Une rencontre plus intéressante fut celle en 2011 lors du colloque d’Heidelberg qui lui était consacré : ma chambre était à côté de la sienne et nous nous retrouvions le matin lors du petit-déjeuner à partager la même table. J’ai le souvenir de beaux échanges avec lui – autour notamment de ma passion première pour l’Alchimie, également sur le livre d’artiste − il était venu au Musée royal de Mariemont pour en parler lors d’un colloque et d’une exposition, bien avant ma prise de fonction… Je garde surtout le souvenir de sa désarmante timidité…
Je n’ai pas eu, malheureusement, la chance de collaborer avec Michel Butor. D’ailleurs à quel titre l’aurais-je fait ? Je ne suis pas artiste… Toutefois, en tant que chercheur et conservateur dans un musée, je publie des ouvrages, des articles, des catalogues et réalise des expositions : la pensée de Butor ainsi que son œuvre sont omniprésentes dans mes diverses activités, y compris dans le cadre de mon enseignement à l’Université…
En revanche, j’ai eu l’occasion de réaliser en 2007 un livret pédagogique accompagnant un DVD d’entretien, Michel Butor, rencontre, édité à l’époque par le Centre National de Documentation Pédagogique (aujourd’hui Réseau Canopé) pour leur collection « Présence de la littérature » à destination de l’enseignement secondaire. J’ai également participé au travail au long cours sur les Œuvres complètes, avec Mireille Calle-Gruber et Sarah-Anaïs Crevier-Goulet, pour lesquelles je faisais principalement de la recherche iconographique : ce fut pour moi l’opportunité de voir l’œuvre de Michel Butor d’un point de vue plastique.
Pour moi les apports de Michel Butor à la littérature sont colossaux : non seulement sa réflexion et son activité de création transportent la littérature dans d’autres champs mais elles font migrer également dans la littérature, les procédés, les techniques et les contenus de la musique, du cinéma, des sciences ou des arts plastiques.
Je considère que le véritable apport de Michel Butor est d’être parvenu à faire en littérature ce que les musiciens ont fait à la musique dans les années 1960/1970 : du « remix » non seulement dans les rééditions de son œuvre propre – à l’exemple d’Illustrations publié avec et sans images – mais également en prenant des extraits d’autres œuvres qu’il intrique à sa propre écriture à l’image de Boomerang (1978). Dans cet ouvrage, troisième de la série des Génie du lieu, tout en découvrant l’hémisphère sud et l’Australie en particulier, le lecteur visite les régions géographiques, voire mentales, inexplorées ou mal connues par l’auteur. Au milieu de la première page, un texte, imprimé en noir, fait masse : sans majuscule ni ponctuation, on peut y lire la description d’une terrible chimère − mêlant le lion, l’éléphant, le loup et l’ours – et surtout le début du portrait du butor tel que nous le donne à lire Buffon dans son Histoire naturelle. C’est l’occasion pour l’auteur de faire honneur à son « animal-totem » ainsi qu’il le rappelle, dix ans après, dans Le Retour du boomerang (1988) – qui est un faux livre d’entretiens avec Beatrice Didier qui lui donne l’opportunité d’expliquer le « mode d’emploi » de Boomerang tout en se racontant.
La fréquentation régulière du Fonds Michel Butor à Nice (comptant environ 41 000 feuillets tapuscrits proche du format A4) ainsi que le projet de valorisation patrimoniale, autour des premiers chapitres de Passage de Milan (1954), m’ont permis de voir qu’apparait très tôt chez l’écrivain une recherche esthétique qui est aussi formelle et que l’on retrouve dans toutes ses formes d’expression (roman, essais, poésie, livre d’artiste…) – je développe d’ailleurs ce sujet dans un article [1] qui peut être consulté en ligne ici. J’avais remarqué en outre que Michel Butor utilisait déjà le saut de ligne dans Passage de Milan pour indiquer au lecteur le changement de focalisation narrative comme les mouvements d’une caméra qui voyagerait d’un étage à l’autre, mais j’ai vu en outre que les jeux typographiques, que l’on retrouve ensuite sur l’ensemble de son œuvre, lui servent, notamment dans la poésie lorsqu’elle est déclamée, de partitions pour marquer les différents registres de voix.
Butor s’est d’ailleurs toujours intéressé aux innovations qui accompagnent non seulement sa pratique d’écriture – il a quand même écrit un « Eloge de la Machine à écrire [2]» puis un « Eloge du traitement de texte [3]» − mais il montre également une grande curiosité pour l’histoire du médium livre et de sa transformation. N’écrit-il pas dans « Propos sur le livre illustré [4]» :
« Au siècle prochain nos actuels livres de poche ou best-sellers auront disparu du commerce. Ce qui sera conservé sera le livre d’artiste. Tout ce qui est « beau » livre restera. Les bibliothèques aujourd’hui ne devraient acheter que des beaux livres qui resteront des trésors comme les anciens manuscrits. Nous devons travailler sur ces nouveaux moyens, et pour cela tirer le plus possible d’enseignement des anciens pour que le transfert se fasse avec un minimum de pertes. J’attends avec impatience les premiers CD-Rom d’artistes. Je suis un homme de l’ancien livre ; je suis comme Moïse apercevant la terre promise de l’électronique artistique. Je ne sais si je réussirai à entrer dans les murs de la Jéricho magnétique, mais je puis au moins la saluer de loin ».
En réalité mon doctorat portait sur deux œuvres: celles de Claude Ollier et d’Assia Djebar. Deux œuvres qui, de prime abord, n’offrent que peu de prise à la comparaison : d’un côté, l’œuvre d’Assia Djebar est celle d’une romancière algérienne que l’on a tôt fait de cataloguer comme écrivaine « postcoloniale » parce que « francophone » ; de l’autre, l’œuvre de Claude Ollier est celle d’un écrivain français dont le nom reste accolé à celui du « nouveau roman ».
Il est vrai qu’à l’instar de Michel Butor, Claude Ollier fut considéré comme un des écrivains du « nouveau roman ». Pour moi, c’est une appellation, exploitée du reste avec beaucoup de génie par Jérôme Lindon, directeur des éditions de Minuit, pour autant elle ne traduit pas pleinement les pratiques et préoccupations des différents écrivains ainsi réunis.
L’histoire a retenu que cette dénomination est apparue sous la plume critique d’Emile Henriot au Monde Emile Henriot, le 22 mai 1957, pour fustiger des œuvres comme Tropismes de Sarraute et La Jalousie de Robbe-Grillet : elle a été récupérée ensuite pour devenir une sorte d’étendard, principalement porté par Jean Ricardou et Robbe-Grillet, regroupant des écrivains aux préoccupations aussi variées que leurs écrits. Claude Ollier dès son premier récit fut considéré comme un « nouveau romancier » avec d’autres écrivains (Butor, Simon, Ollier, Pinget, Ricardou, Robbe-Grillet, Sarraute) qui ont tenté d’interroger la tradition romanesque française et de faire en sorte que leur pratique coïncide avec leur sensibilité contemporaine du monde et non plus avec des codes et conventions littéraires datant du dix-neuvième siècle.
C’est d’ailleurs l’un des grands reproches fait aux « nouveaux romanciers » : leur manque de respect des conventions de ce qui était considéré comme le réel en littérature et du « réalisme ». Michel Butor, qui s’en défend, dira que pour lui « Le roman se situe dans le monde des réalités, avec ses ramifications innombrables ». [5] Ollier, quant à lui, problématise la question dans une perspective similaire :
« Je n’emploie jamais « réel » non plus, qui implique toutes sortes de références philosophiques, linguistiques, historiques contradictoires, de Platon à Jdanov et Lukács. Et puis il y a langage dès les premiers instants, toute perception est depuis toujours immergée dans le langage, et toute sensation, tout souvenir. Le mot « arbre » est dans l’arbre, il y est toujours déjà, comme disent les philosophes […] Quand j’utilise le langage pour écrire, il me semble en faire déjà un usage second, voire un usage au troisième degré, si je tiens compte de la parole. On dit « réel » comme si existait un monde vierge de tout langage. C’est là un monde inaccessible. » [6]
Pour ces écrivains « nouveaux », le roman « romanesque », genre qui a sa marque dans la littérature française, a peu à peu instauré un certain nombre de règles qu’ils souhaitent interroger et repenser. C’est également une réflexion que l’on retrouve chez Nathalie Sarraute [7] et surtout chez Robbe-Grillet écrivant « De quelques notions périmées » [8] en littérature —où il bannit le personnage, l’intrigue, la téléologie narrative.
S’il y a un point commun entre lesdits « nouveaux romanciers » c’est bien celui du refus de figer la littérature. Il me semble plus juste de dire qu’ils donnaient à voir, chacun par des moyens différents, ce refus d’une certaine idée normative et répétitive de la littérature française et l’influence commune des littératures étrangères— notamment de Faulkner, Joyce et Woolf.
Ce rapport à la norme, à une forme de « doxa », est donc fort complexe. On a vu comment au cœur même du « nouveau roman », un certain appareil théorique excessif a parfois masqué la création littéraire qu’il était censé mettre en valeur. Il faut dire aussi que « l’excès théorique » de certains « nouveaux romanciers », comme Ricardou et Robbe-Grillet, a été un commode repoussoir allégué par tous ceux qui refusaient de reconnaître la subversion réelle qu’apportaient ces formes d’écritures.
Plusieurs « nouveaux romanciers », comme Michel Butor, Claude Ollier et Claude Simon, ont pris des distances par rapport aux positions quelques peu rigoristes des théoriciens du « nouveau roman ». A mon sens, Butor « sort » non seulement du romanesque mais également du « nouveau roman » déjà en 1962 avec deux œuvres fondamentales : Mobile, Étude pour une représentation des États-Unis et le livre de dialogue Rencontre avec le peintre chilien Enrique Zañartu. Cela n’a jamais signifié pour lui quitter la littérature mais plutôt la réinventer, en jouant avec ses formes traditionnelles et ses conventions, pour que nous puissions l’apprécier dans ses modalités contemporaines et non en l’évaluant en fonction des pratiques passées. In fine, Michel Butor a été, tout au long de sa vie, fidèle à la pensée qu’il avait formulée en 1955 dans son essai Le roman comme recherche :
« Le romancier qui se refuse à ce travail, ne bouleversant pas d’habitudes, n’exigeant de son lecteur aucun effort particulier, ne l’obligeant point à ce retour sur soi-même, à cette mise en question de positions depuis longtemps acquises, a certes, un succès plus facile, mais il se fait le complice de ce profond malaise, de cette nuit dans laquelle nous nous débattons. Il rend plus raides encore les réflexes de la conscience, plus difficile son éveil, il contribue à son étouffement, si bien que, même s’il a des intentions généreuses, son œuvre en fin de compte est un poison. » [9]
La Réserve précieuse est à l’image du Musée royal de Mariemont qui constelle en son sein différentes temporalités et réunit les œuvres de nombreuses civilisations. Réaménagée au gré des différentes donations, elle accueille les ouvrages bibliophiliques topiques des collections de la grande bourgeoisie du dix-neuvième siècle, à laquelle appartenait Raoul Warocqué (1870-1917) le donateur à l’origine du musée, mais aussi des références de la littérature automobile ou de l’entre-deux-guerres, une exceptionnelle collection de documents autographes comme les œuvres d’artistes contemporains dans de nombreux domaines du livre et de la littérature dont une collection de livres d’artiste(s) qui a été effectivement un des grands apports de la seconde partie du vingtième siècle.
Cette collection particulière s’est développée après la réouverture du Musée en 1972, douze ans après l’incendie qui a détruit le bâtiment principal : une nouvelle impulsion a été donnée par Marie-Blanche Delattre et Pierre-Jean Foulon, respectivement bibliothécaire et conservateur de la Réserve précieuse, qui avaient à cœur d’étendre l’expertise du musée dans de nouveaux domaines du livre. Grâce également au travail de veille et de diffusion de l’artiste – curateur – libraire – éditeur anversois Guy Schraenen, « les livres d’artiste(s) », en rejetons irrévérencieux de l’art contemporain, sont venus interroger à nouveaux frais les collections bibliophiliques traditionnelles.
Ces « livres d’artiste(s) » diffèrent, pour la plupart d’entre eux, de la vision, beaucoup plus large, que Michel Butor avait de ce médium : ils correspondent à une pratique qui a émergé, dans les années 1960, chez des artistes plasticiens, provenant pour une large part du mouvement Fluxus, de l’Art conceptuel ou du Minimalisme. D’ailleurs, comme je le disais plus haut, Michel Butor était venu à Mariemont pour parler de sa pratique et de sa vision du livre d’artiste : elles correspondent davantage à ce que nous pourrions qualifier d’un « dialogue par le livre », selon l’expression d’Yves Peyré, au sens où Butor nourrissait sa pratique scripturaire, généralement poétique, de la fréquentation esthétique et de l’influence des procédés mis en œuvre par les artistes avec lesquels il collaborait.
Mes recherches sont aussi diversifiées que les collections sous ma responsabilité ou mes centres d’intérêt : je me rends compte que je suis très chanceux ! Faire de la recherche comme du reste travailler sur des collections sont les pendants nécessaires au travail plus événementiel qu’est une exposition. Je viens d’ailleurs d’achever une exposition dont vous trouverez la version numérique ici et la publication qui lui est attenante : c’est le fruit de 2 à 3 années de recherches qu’il faut mener en parallèle à d’autres projets qui ont des échéances plus ou moins longues.
Nous avons reçu récemment plusieurs donations dont j’assure l’inventaire et l’étude : c’est le cas du fonds d’archives de « documentation Céline Duval » lié aux livres d’artiste(s) qui est arrivé en 2019. Mais il y a également des fonds plus anciens qui nécessitent d’être interrogés à nouveaux frais : nous disposons ainsi d’un Enfer (appellation sous laquelle se cachent des livres contrevenant aux bonnes mœurs) ayant appartenu au fondateur du musée, Raoul Warocqué (1870-1917), qui était grand amateur de littérature et d’images licencieuses- − j’explore à cette occasion la circulation des livres et des images malgré les interdits et c’est absolument passionnant.
Parmi les autres projets stimulants, je prépare également avec une collègue de la Sorbonne Nouvelle, Aline Bergé, un colloque international à Cerisy-la-Salle en août 2021 autour de l’écrivaine Leïla Sebbar, autrice engagée dans les combats féministes et sur les problématiques des parcours de vie pris dans les migrations – je présenterai à cette occasion une exposition autour de son œuvre et de ses archives.
Ce qui m’intéresse également depuis de nombreuses années, c’est la manière dont les récits évoluent à la faveur des transformations médiatiques : de l’oralité à l’écriture, du volumen au codex, de l’imprimerie à l’informatique et internet… Je suis toujours fasciné par la manière dont les récits vont migrer d’un support à l’autre avec une phase où le nouveau médium va imiter l’ancien puis inventer de nouveaux modes de narration et de nouveaux contenus, rendus non seulement possibles par la technologie mais également par les bouleversements socio-culturels qui l’accompagnent. Evidemment, avec sa présence durant plus d’un demi-millénaire, le livre joue un rôle central dans cette histoire.
C’est d’ailleurs l’une des motivations à la création, avec David Martens (professeur à la KU Leuven), des RIMELL (Recherches interdisciplinaires sur la muséographie et l’exposition de la littérature et du livre) qui se veulent un réseau de « recherches appliquées ». Historiquement, le projet de ce réseau est né d’une exposition en 2012, « Écrivains : modes d’emploi. De Voltaire à bleuOrange (revue hypermédiatique) », réalisée au Musée royal de Mariemont en compagnie de Myriam Watthee-Delmotte (UC Louvain). Très rapidement s’est posée une série de questions : comment exposer la littérature et le fait littérature sans que l’exposition soit réduite à une série de livres en vitrine ? Comment ne pas réduire une œuvre au propos qu’on veut lui faire tenir ? Les autres manifestations et créations des écrivain.e.s sont-elles à caractériser de la même manière, s’intègrent-elles dans le fait littéraire ? Comment en rendre compte ? Etc.
Nous disposions alors de peu de documentation, mêlant réflexions et pratiques, aussi avons-nous décidé de créer ce réseau international qui se présente comme un espace de rencontres entre nos différents mondes et pratiques du livre et de la littérature : le monde muséal, celui de l’université et les divers acteurs qui interviennent dans de tels projets (artistes, graphistes, scénographes etc.).
Après quelques itérations, le site litteraturesmodesdemploi.org a été pensé comme une plateforme globale nous permettant d’explorer toutes ses questions et de voir comment d’autres essayent d’y répondre. Ce site contient l’ensemble de nos activités : des expositions conçues par nous ou que nous hébergeons ; les recherches entreprises lors de divers ateliers (RIMELL) ; une veille scientifique et muséale avec des comptes rendus d’exposition réalisés par des spécialistes du sujet (Exporateur littéraire) ;une Bibliothèque de documents et de catalogues d’exposition, Agenda culturel, et les Actualités scientifiques.
Notes :
[1] Sofiane Laghouati, « Michel Butor : (art)work in progress – du roman au livre d’artiste », dans Les graphies du regard : Michel Butor et les arts, actes du colloque à l’Université de Heidelberg du 21 au 23 septembre 2011 Heidelberg, Universitätsverlag, Winter 2013, pp. 63-71.
[2] Michel Butor, « Éloge de la machine à écrire », Répertoire IV (1979), dans Œuvres complètes, III, Répertoire 2, p. 437.
[3] Michel Butor, « Éloge du traitement de texte », dans Œuvres complètes, X, Recherche, 2009, p.103-104.
[4] Michel Butor, « Propos sur le livre illustré », dans Œuvres complètes, X, Recherche, 2009, p.489.
[5] Michel Butor, Entretiens, Quarante ans de vie littéraire, volume I, Paris, Joseph K., 1999, p. 35.
[6] Claude Ollier, Cité de mémoire, op.cit., p 51.
[7] Nathalie Sarraute, L’ère du soupçon, Paris, Gallimard, 1956
[8] Alain Robbe-Grillet, « Sur quelques notions périmées », dans Pour un nouveau roman, Paris, Minuit (1961), 1996, pp 25-44.
[9] Michel Butor, « Le roman comme recherche », dans Répertoire I, Répertoire 1, dans Œuvres complètes, Paris, La Différence, (1955) 2006, p. 23.
[10] Michel Butor, « L’art et le livre », dans L’Art et le livre, Musée royal de Mariemont, Morlanwelz, 1988, p.17-39.
[11] Voir à ce sujet : Yves Peyré, Peinture et poésie – le dialogue par le livre (1874-2000), Paris, Gallimard, 2001.
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Réserve Précieuse du Musée royal de Mariemont (c) M. Lechien
La faculté Arts, Lettres et Langues de l’UJM propose une formation de niveau Master 2 avec des enseignements donnés par des professionnels du domaine, spécifiques à l’édition et au livre d’artiste.
Ce Master ouvre au champ de l’édition d’art, de l’édition traditionnelle (catalogues de musées, d’expositions, livres d’art, revues spécialisées, etc.) et de l’édition contemporaine grâce à son développement numérique.
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Mêlant des cours théoriques sur l’histoire de l’édition et de l’image imprimée à des travaux pratiques et des notions juridiques cette formation prépare les étudiants au travail éditorial, à la conservation et la diffusion du livre d’artiste en particulier et aux aux métiers du livre en général.
Né le 5 février 1947 à Paris, c‘est auprès de Stockhausen et de Pousseur, dont il se sent proche, que Jean-Yves Bosseur étudie la composition à la Rheinische Musikschule de Cologne tout en poursuivant un cursus universitaire (Doctorat d’État en philosophie esthétique).
Alors qu’il écrit ses premières œuvres importantes (Un arraché de partout, 1966), il rejoint le Groupe d’Études et de Réalisations Musicales qui réunit de jeunes instrumentistes et compositeurs. Parallèlement à ses activités de créateur, il mène une carrière de professeur et devient directeur de recherche au CNRS à partir de 1969.
Fort de ses doubles compétences, il enseigne ainsi la composition au CNR de Bordeaux et l’esthétique à l’université de la Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages, Jean-Yves Bosseur aborde volontiers dans ses écrits la problématique de la musique contemporaine et du rapport entre les arts. Un sujet qui le préoccupe également dans le cadre de ses compositions, où s’exprime fréquemment le désir de décloisonner les activités artistiques. Pour preuve sa collaboration étroite avec des écrivains (Michel Butor, Actes divers), des cinéastes (Fernando Arrabal, Viva la muerte) ou des peintres, au service d’une œuvre variée et volontiers insolite (à l’image de ses livres-partitions), qui met par ailleurs en exergue son intérêt pour la scène.
Co-fondateur du groupe Intervalles, il est distingué à deux reprises par les prix des Fondations Royaumont et Gaudeamus. Parmi ses principales œuvres, citons encore Empreintes nocturnes (1981), Mémoires d’oubli (1991), la Messe (1995), Donnant donnant (2001-2002), En trio (2005-2006) ou Quatre à quatre (2018).
En 1967, j’avais été fasciné par une pièce satellite de l’opéra Votre Faust, sans doute Écho I de Votre Faust, créée à Bruxelles, qui tranchait tellement avec la grisaille de ce que l’on pouvait entendre au Domaine musical à Paris ou au festival de Darmstadt. C’est également l’époque où j’étudiais la composition avec Henri Pousseur à la Rheinische Musikschule de Cologne. J’ai donc décidé d’étudier de plus près Votre Faust, consacrant à cette œuvre tout d’abord une courte brochure publiée en 1968 par le Centre d’Études et de Recherches Marxistes, puis une thèse de troisième cycle soutenue à l’Université de Paris 8. La collaboration entre Michel Butor et Henri Pousseur pour cette « fantaisie variable, genre opéra » m’est apparue absolument exemplaire, ouvrant des perspectives inédites sur les relations entre les domaines de l’écriture littéraire et de la musique. C’est à l’occasion de ce travail musicologique que j’ai rencontré à plusieurs reprises Michel Butor, à Sainte-Geneviève des Bois, puis à Nice. Un des entretiens a été publié dans un dossier que Dominique Salini et moi avons réalisé en 1971 pour le n°4 de la revue « Musique en jeu » (Éditions du Seuil), et qui avait pour titre « Michel Butor et la musique ». Je me souviens encore de la très volumineuse correspondance de Pousseur que Butor avait méticuleusement réunie dans toute une rangée de boîtes de classement. Entretemps, j’avais activement participé à la création de Votre Faust à la Piccola Scala de Milan. J’avais été chargé, initialement, de la diffusion, fort complexe, des bandes magnétiques pendant le déroulement de l’œuvre. Puis, en raison de conflits avec Roger Mollien, le metteur en scène, qui jouait aussi le rôle d’Henri dans l’opéra, comme je connaissais particulièrement bien la partition, Pousseur m’a demandé d’assurer ce rôle en tant qu’acteur (ce que j’ai fait pour la première et dernière fois de ma vie), d’abord sur la scène milanaise, puis dans le film Les voyages de Votre Faust, produit par la RTB.
Votre Faust m’avait fait une si forte impression que j’ai longtemps hésité avant d’oser proposer un projet de collaboration à Butor. En 1971, celui-ci m’a, d’une certaine manière, tendu la perche lorsqu’il m’a invité à composer un ensemble de courtes séquences pour carillon (celui de l’église Saint-Germain L’Auxerrois) destinées à ponctuer un film conçu pour la télévision avec le réalisateur Michel Favart, Proust et les sens et dans lequel intervenaient notamment Henri Pousseur, Pierre Klossowski, Jean Starobinsky, Roland Barthes…
Dans le courant des années 70, s’est amorcée une suite d’échanges avec lui, qui reposait en partie sur la problématique des structures variables et de l’œuvre ouverte, ce dont témoignait son poème Une chanson pour Don Juan. Cela s’est tout d’abord présenté sous la forme des Triptyques pour Don Juan (1973/77), soli mobiles pour voix, instruments à cordes, à vent et à clavier, donnant notamment lieu ultérieurement à une production pour l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture. L’idée d’organiser spatialement des partitions en triptyque m’était venue après avoir vu le livre Querelle des états que Butor a conçu avec Camille Bryen en 1973.
Une première confrontation avec la matrice ajourée d’Une chanson pour Don Juan, encore largement à l’état de projet, m’avait également laissé entrevoir la possibilité d’une « partition verbale » qui, à l’image des strophes conçues par lui, serait constituée d’unités d’action sonore, condensées chacune en la personne d’un mot pivot, sorte d’idéogramme poétique, qui s’inscrirait à l’intérieur d’un jeu de cartes musical. Pourtant, dans un premier temps, ce n’est pas vers ce mode de notation que je me suis orienté, mais dans l’élaboration de partitions en expansion, sous forme de triptyques que les musiciens pourraient parcourir à la manière d’un plan urbain. Mon intention n’était nullement de mettre les strophes de Don Juan en musique. Il était hors de question de me contenter d’illustrer l’aspect sémantique du matériau littéraire et d’en rester à un parallélisme texte/musique. C’est précisément parce que les strophes avaient été élaborées à la suite d’un travail structural quasiment musical, à partir de séries et d’opérations mobiles, qu’une corrélation formelle organique a pu s’instaurer.
La lecture enregistrée par Michel Butor lui-même faisait apparaître chaque strophe avec une netteté optimale, comme s’il s’efforçait de donner à chaque unité poétique la durée et l’intonation qui lui soient tout particulièrement propices, en amont de tout effet extérieur.
En 1974/75, le projet a connu une nouvelle modalité d’application sous la forme d’une action théâtro-musicale, Tous les Don Juan, pour soprano, groupe instrumental et deux acteurs, avec une dramaturgie d’Henri Ronse et des décors de Leonardo Cremonini.
Plus encore que les Triptyques pour Don Juan, Tous les Don Juan, qui incluait plusieurs versions des Chansons pour Don Juan, mettait en rapport des personnages musicaux en fonction de leurs affinités et de leurs différences. Les protagonistes de cette « comédie de mœurs » musicale étaient mis en scène compte tenu de leurs caractères propres : les modes d’action et réaction qui leur étaient soumis sont fortement théâtralisés, mais sans que les musiciens aient à interpréter un rôle qui soit étranger à leur pratique instrumentale. Tous les Don Juan se proposait de souligner la part donjuanesque de chaque instrument, d’insinuer ses possibilités d’accouplement avec les autres instruments, tous les autres.
Après avoir élaboré plusieurs cycles de variations autour de Don Juan (Don Juan dans la Manche, Don Juan dans l’Essonne, Don Juan dans les Yvelines…), en 1976, Butor a répondu favorablement à une demande que je lui avais adressée, et qui s’est concrétisée par un Don Juan dans l’orchestre. Dans ce cas, la combinatoire qu’il a mise en jeu a permis d’imaginer une partition verbale constituée de « mots » musicaux, chacun pouvant être considéré comme le germe d’un acte sonore. La mise en situation mobile de ces mots dans les strophes se révélait à même de poser aux musiciens un vaste réseau de questions quant aux rencontres, passages d’un caractère musical à un autre, chacun étant comme appelé par un mot pivot. Au cours de l’élaboration de la partition, il s’est agi de faire de chaque strophe poétique (il y en avait quarante en tout) une sorte de miniature musicale qui prendrait comme éléments moteurs quelques-uns des mots de chacune de ces strophes ; la richesse du vocabulaire concernant phénomènes sonores et modes de jeu et de relation entre les musiciens a considérablement stimulé mon projet.
Par ailleurs, l’intérêt que je porte aux modes de notation ne nécessitant pas un apprentissage par trop spécialisé ni un niveau de technicité élevé l’a incité à me demander de concevoir une partition verbale pour un ouvrage qui réunirait les matrices des différents jeux de strophes, Matériel pour un Don Juan, avec l’apport de Pierre Alechinsky (Éd. la Louve de l’hiver, 1977). En plus de son texte, qui relatait le processus d’écriture des strophes, il y avait donc, dans le coffret de l’ouvrage, ma partition, un appeau qu’il avait souhaité intégrer, un peu à la manière d’un signal sonore, ainsi qu’une cassette comprenant plusieurs réalisations de la partition par un groupe de musiciens amateurs; l’expérience fut menée au Conservatoire de musique de Pantin (où je donnais des cours d’éveil et de réalisation musicale à des enfants et des amateurs), par un groupe de sept participants.
Les seuls éléments de partition conservés dans ce cas étaient les unités poétiques des strophes. Le projet rejoignait alors cette fois pleinement ma première idée de rapport au texte poétique. Et il m’importait que cette phase, pour laquelle le mode de communication musicale se sert du même outil que le jeu poétique, le langage, couple cette partition, épurée de tout code exclusivement musical, avec la matrice elle-même des strophes. Ce qu’impliquent les éléments poétiques pour l’action musicale dépend dès lors de l’imagination de chacun et résulte conjointement des échanges vécus par le groupe à cette occasion ; si certains mots seront ressentis comme des propositions d’intervention sonore relativement claires, parce que renvoyant à la terminologie musicale usuelle, d’autres se révéleront manifestement plus ambigus, suscitant de multiples voies d’accès pour le jeu.
La dernière étape de ce « work in progress » est Portrait d’Albert Ayme (1980/81), pour mezzo-soprano, piano, alto, clarinette, trombone et accordéon, où Michel Butor et moi avons réagi à un processus de variations conçu par le peintre Albert Ayme. Michel Butor proposa pour sa part une suite de strophes dans la lignée des ensembles poétiques cités précédemment.
En 1983, Michel Butor m’a proposé de collaborer à un hommage à Raymond Roussel, pour un symposium qui lui était consacré à Nice. Construite à partir d’un épisode de Locus Solus, la partition des Tarots musiciens – éloge de Raymond Roussel – est écrite pour soprano, flûte, clarinette, alto, violoncelle, accordéon + récitant. Conjointement musical et poétique, le processus est basé sur un ensemble d’arcanes mineurs et majeurs, dont il convient de tirer préalablement au sort vingt lames, afin d’obtenir une « donne ».
Le lecteur lit le titre de la première lame qu’il vient de tirer, puis le texte lorsqu’il s’agit d’un arcane mineur. Lorsqu’il s’agit d’un arcane majeur, il attend que les instruments aient fini leur jeu. Il cherche alors la carte suivante selon les prescriptions de l’antérieure et, après avoir remis les cartes éventuellement sautées dans le bas du paquet, il lit ou écoute. Le rapport dynamique entre la voix parlée et le jeu musical évolue tout au long des sections. L’effectif instrumental varie selon la couleur des arcanes; ainsi, les cartes d’épées sont accompagnées par le piano, les coupes par la flûte, les deniers par le violoncelle, les bâtons par l’alto. Les instruments interviennent généralement après le lecteur et exécutent une variation sur une phrase des Campanules d’Ecosse, mélodie inscrite dans l’ouvrage de Roussel; selon les lames, différents types de duo instrumental et vocal sont prévus. Quatre « cartes blanches » (« voilée », « cachée, « secrète », « surprise ») ménagent des silences musicaux. Pour les arcanes majeurs, le jeu est axé autour d’un instrument principal, de deux instruments secondaires, auxquels viennent épisodiquement se greffer les autres instruments ou la voix chantée.
Pour ces Tarots musiciens, nous avons choisi de présenter les éléments de texte et de partition comme complices, afin qu’ils participent d’un principe commun de mobilité, de « chance », contenu dans le mode de fonctionnement du jeu de tarot décrit par Roussel, avec, comme invoqués, les aspects symboliques qu’il sous-entend. Toutes les décisions, nous les avons prises ensemble, y compris le choix de l’effectif instrumental. À ce propos, je me souviens que Michel Butor était, au départ, relativement perplexe quant à la présence d’un accordéon. Mais il s’est vite laissé convaincre, cet instrument jouant un rôle actif dans le groupe Intervalles, qui devait créer l’œuvre.
En 1984, nous avons conçu Cheminements au ras du sol, pour soprano et piano. Il s’agissait, à l’origine, d’un livre-partition, demeuré à l’état de projet, avec des dessins de format très allongé de Gaston Planet, qui les avaient soumis à M. Butor très peu de temps avant sa mort, et auxquels celui-ci a répondu par un texte épousant au plus près les contraintes graphiques, et que j’ai ensuite repris musicalement à mon compte.
Une nouvelle collaboration avec Michel Butor s’est profilée en 1993, avec Concert (1993/94) pour quatuor à cordes + lecteur. Plusieurs éléments sont peu à peu entrés en interaction pour me livrer les indices de « scénarios » musicaux destinés à se concrétiser sous la forme d’une suite de séquences pour quatuor à cordes. Le choix d’une telle couleur instrumentale avait déjà constitué une première étape de notre démarche commune. Simultanément, les planches graphiques du calligraphe Roger Druet, à l’origine de ce projet, et les textes de Michel Butor m’apportèrent un certain nombre de thèmes de réflexion qu’il me fallait incorporer à mon propre langage musical. Les sous-titres de ses textes contribuèrent de manière déterminante à orienter mes choix. Des mots comme approche, attente, accord, attaque, reprise sont en eux-mêmes infiniment riches d’implications musicales et condensent un ensemble de questions essentielles qu’un compositeur est constamment amené à se poser. D’autres, comme sérénade, aria, fugue, aubade, hymne, ténèbres ou sarabande appellent à faire le point sur certains aspects ou vestiges de notre héritage; c’est ce qui m’a incité à glisser dans certaines séquences des allusions voilées à Mozart, Bach, Schubert ou Marin Marais. Toutefois, ces termes débordent toute appartenance à une catégorie artistique restrictive. Dès lors, il devient particulièrement intéressant d’observer les ramifications qu’ils connaîtront tour à tour dans les champs poétique et graphique, et de creuser à la fois les principes de liaison et les écarts qui ne manqueront pas de survenir lorsqu’ils seront explorés à l’intérieur d’un autre champ d’investigation, en l’occurrence, le musical.
En 1999 m’a été adressée la proposition de composer une œuvre spécifiquement pour la cathédrale de Chartres et son labyrinthe, et il m’a semblé qu’un contrepoint poétique représenterait un apport décisif. Dès lors, j’ai sollicité Michel Butor et le projet est devenu Chants du Labyrinthe pour groupe vocal (6 voix), orgue et trombone. Butor a choisi de se référer assez librement à la Missa Sancti Jacobi attribuée à Fulbert de Chartres (12ème siècle). Pour ma part, il s’agissait de tisser des liens entre divers âges de la pensée musicale, avec, en filigrane, des interrogations sur la notion de modalité et sur l’émergence de la polyphonie. Michel Butor est intervenu poétiquement dans cette méditation pour laquelle les résonances symboliques et spirituelles de la cathédrale de Chartres et de son labyrinthe ont constitué un catalyseur essentiel. Une des séquences consistait, pour les chanteurs, en un parcours à l’intérieur de celui-ci. Nous avons en effet tenu à tirer parti du labyrinthe inscrit sur le sol, composé de onze cercles concentriques avec une seule entrée. Les chanteurs entonnent la messe en y avançant lentement jusqu’au centre, suivis par les personnages de la vie de Saint Jacques évoqués dans le texte de Butor. Ils se présentent successivement à l’entrée du labyrinthe au début de chaque strophe et avancent d’un quart de cercle à chaque verset. À la fin, le premier personnage arrive au centre et les quatre autres sont disposés en croix autour de lui selon les points cardinaux.
Lors de la création, Michel Butor lisait son texte à partir de la chaire. Un des techniciens avait proposé que sa voix soit amplifiée. Ce à quoi Butor répliqua qu’il n’en était pas question et qu’il était parfaitement capable d’ajuster sa voix à l’acoustique de la salle, comme cela avait été nécessairement le cas pour de multiples ecclésiastiques par le passé. Et cela se révéla bien sûr tout à fait juste.
Notre dernière collaboration est assez récente, mais elle me laisse évidemment un goût bien amer. En 2016, le violoniste François Henry souhaitait rendre hommage à Michel Butor pour son quatre-vingt dixième anniversaire. Il me demanda quelles pièces en collaboration avec lui pourraient être programmées. Je lui en suggérai certaines mais ajoutai qu’il serait intéressant de créer quelque chose de nouveau à cette occasion. J’écrivis à ce propos à Michel Butor qui me demanda quel effectif était prévu pour ce concert. Je lui retransmis l’information (mezzo-soprano, piano, violon, violoncelle, accordéon) et quelle ne fut pas ma surprise quand je reçus, quelques jours plus tard un poème La voix entre les lignes, accompagné d’une carte postale dans laquelle il me disait toutefois ne pas être trop en forme. Enthousiaste, je me mis immédiatement au travail. J’avais même pris contact avec un responsable culturel de ma ville pour organiser le concert en question, en présence de Michel Butor. Et c’est en cherchant sur internet des indices sur ses récentes collaborations que j’appris qu’il venait de disparaître. C’était tout juste quelques jours après que j’aie reçu son courrier. La voix entre les lignes reste à créer, elle le sera sans doute un jour, mais cela se fera malheureusement sans lui…
Notre dernière collaboration est assez récente, mais elle me laisse évidemment un goût bien amer
Pendant les séances de travail, Michel Butor foisonnait d’idées, émettait toutes sortes d’hypothèses d’interaction entre les domaines de la poésie et de la musique parmi lesquelles il fallait nécessairement effectuer des choix. Il restait toujours très concret, cherchant à évaluer avec une précision optimale ce qu’il était possible de réaliser, compte tenu des conditions de création qui nous étaient offertes. Il avait aussi un état d’esprit très marqué par le sérialisme, au meilleur sens d’une telle méthode. C’est-à-dire qu’il avait une exceptionnelle capacité à analyser les données de ce sur quoi nous avions l’intention de travailler et à en synthétiser les idées forces. Par ailleurs, pour chaque nouveau projet, il lui semblait apparemment nécessaire de reposer les bases de la collaboration potentielle, afin d’envisager à chaque fois un axe d’approche spécifique, afin d’écarter toute éventualité de redite et s’engager dans une aventure inédite. Avec lui, les séances de travail étaient à la fois calmes, toujours bienveillantes et rigoureuses, sans rien de formel.
Nos rencontres étaient aussi des moments privilégiés de découverte pour moi. C’est chez lui que j’ai vu par exemple pour la première fois des œuvres de Jiří Kolář dont la démarche de création a été déterminante pour la mienne. Sans le chercher délibérément, Butor instaurait également des liens entre différentes générations et l’intérêt pour son œuvre était ainsi partagé par des écrivains qui sont devenus des amis, comme François Aubral, Michel Sicard, ou des peintres comme Pierre Alechinsky, Bertrand Dorny, Jean-Luc Parant, Julius Baltazar… avec qui j’ai continué par la suite à avoir de fructueuses relations d’échange.
Michel Butor est toujours resté très proche de la pensée musicale, qu’il était capable d’appréhender de manière très concrète, à la différence de la plupart des écrivains. Bien évidemment, Henri Pousseur demeure le compositeur avec lequel il a entretenu les liens de complicité les plus suivis. Mais il y a eu aussi René Koering, Rainer Boesch, Jacques Guyonnet, Alina Piechowska, Marybel Dessagnes, Michel Decoust.
Ses écrits sur les Variations Diabelli et les dernières Bagatelles de Beethoven représentent par ailleurs un véritable tour de force, tant sur le plan de l’analyse musicale, qui se révèle exceptionnellement visionnaire, que sur celui de l’écriture littéraire.
Les échanges pluri-artistiques ont toujours été un puissant stimulant pour moi.
Toutefois, je n’ai jamais cessé de me méfier des parallélismes quelque peu simplistes et réducteurs qui règnent trop souvent en ce domaine. L’esthéticien Étienne Souriau parlait de « vagues métaphores » à cet égard dans son livre La correspondance des arts, et je partage pleinement son point de vue. Par contre, l’idée de transversalité entre disciplines me paraît un apport des plus précieux. Une phrase de Kandinsky dans son ouvrage Du spirituel dans l’art me semble résumer avec la plus grande pertinence un tel débat : « Un art doit apprendre d’un autre art l’emploi de ses moyens, même des plus particuliers et appliquer ensuite, selon ses propres principes, les moyens qui sont à lui et à lui seul ». En fait, cela suppose de maintenir une véritable tension entre les moyens d’expression. Par exemple, mettre en musique un poème n’est nullement une évidence, car le poème en question a sans doute été écrit pour s’inscrire au sein d’un livre, être lu en silence. Le faire changer de contexte implique donc d’inventer des modalités de perception susceptibles de révéler de nouvelles résonances par rapport à lui. Et c’est pourquoi j’ai très souvent envisagé avec les auteurs eux-mêmes (Butor bien sûr, mais aussi Edmond Jabès, Samuel Beckett, Bernard Noël…), de quelle manière leurs textes pouvaient être orientés dans le sens de la musique, préférant même, dans le meilleur des cas que, dès le départ, l’auteur pressente la destination de son texte.
Michel Butor avait une passion immodérée pour les livres d’artiste, que je partage largement même si, pour un compositeur, concevoir de tels ouvrages pose un certain nombre de problèmes, la notation musicale étant étrangère à la plupart des gens. Il faut donc parvenir à contourner cette difficulté et, avec chaque peintre concerné par un tel projet, la réponse se doit d’être différente. Aujourd’hui, il est devenu plus facile d’intégrer un support enregistré à un livre d’artiste, sous forme de CD ou de clef usb, ce qui permet d’entrer plus explicitement dans le projet développé en commun par un plasticien et un musicien. Le livre d’artiste offre surtout la possibilité d’ « interpréter » à loisir le phénomène du livre, sans dépendre des contraintes commerciales habituelles. Comme Butor l’a superbement démontré, on peut réaliser des tirages très réduits en produisant soi-même, artisanalement, un livre, l’accompagner éventuellement d’un enregistrement ou d’une partition (qui peut parfois également se présenter sous forme de texte), en jouant sur la qualité graphique des signes. Les hypothèses de création s’avèrent infinies… Les livres d’artiste incluant la démarche d’un compositeur demeurent relativement rares. Je citerai néanmoins le merveilleux album Sports et divertissements que Erik Satie a réalisé avec Charles Martin en 1914.
À l’occasion de chaque dialogue avec un peintre, j’ai toujours tenu à ce que soit reposés les termes d’une stratégie susceptible d’aboutir à un projet commun, car il me semble bien que confronter deux modes de pensée aussi spécifiques doit demeurer un défi qui, comme je le disais précédemment, s’écarte d’emblée des évidences trompeuses. Avec Albert Ayme, le propos était au départ une réflexion sur des correspondances structurelles entre langages plastique et musical à partir de l’application de méthodes sérielles. A. Ayme m’avait présenté les Seize et une variations (1963), à la fois livre et œuvre graphique. Dans ce cas, la variation, liée à une conception ouverte du sérialisme, devenait pluralité des manières de désigner une forme unique, à l’origine une forme trouvée, de déchiffrer ses potentialités par-delà toute pensée préconçue.
La question initiale qui se posait alors pour cette partition en puissance était de savoir quel pourrait bien être le thème de ces 16 et 1 futures variations musicales; afin de prendre un parti qui présenterait des affinités avec le propos d’A. Ayme, je pensais tout d’abord à un « objet sonore trouvé », stylistiquement neutre pour ne pas apparaître trop astreignant, un élément dont la définition serait obtenue à la suite d’opérations de hasard, ou encore un élément que j’inventerais en faisant en sorte qu’il me réserve un terrain d’intervention aussi large que possible. J’optai en définitive pour cette dernière solution et décidai de prendre comme noyau générateur de toutes les variations en puissance une série de treize sons comprenant douze intervalles différents de hauteur. Une telle série devait me permettre de jouer sur l’équilibrage des « poids » harmoniques des intervalles, des plus consonants aux plus dissonants, sur divers dosages capables de rendre leurs fonctions ambiguës, polyvalentes et de troubler ainsi toute impression d’appartenance stylistique, toute détermination historique par trop restrictive.
Il me semblait également important et ce, à la lumière de nombreuses conversations avec A. Ayme, d’expérimenter de nouvelles conséquences de la démarche sérielle, susceptibles notamment de croiser la problématique des formes ouvertes. J’avais tout d’abord procédé à une analyse de chaque variation, sur un plan strictement plastique, repartant notamment de la « forme trouvée » pour observer de quelle manière A. Ayme l’avait traitée, articulée. Cela avait donné des sortes de scénarios descriptifs. Plus tard, j’ai repris ces textes, comme s’il s’agissait de descriptions d’événements musicaux; le mot m’a donc permis de passer d’une réflexion plastique à un projet de composition musicale. Par la suite, nous avons demandé à Michel Butor de réagir au processus de variations ainsi combinées; il proposa pour sa part un ensemble de strophes succédant aux autres ensembles poétiques que j’avais déjà explorés musicalement (notamment dans Matériel pour un Don Juan); ce cycle de strophes devait représenter une amplification de la donnée motrice de notre projet, un réel rebondissement. Le tout devint, en 1981, un Portrait d’Albert Ayme, pour mezzo-soprano, piano, clarinette, alto, trombone, accordéon.
Ce que j’ai lu des précédents entretiens que vous avez réalisés donne déjà parfaitement le ton. Butor était un homme d’une culture immense, mais qu’il avait su interpréter, « réinventer » de manière tout à fait personnelle. Humainement, il était particulièrement chaleureux, bienveillant, ouvert à tous, quels que soient leur âge et niveau de notoriété et témoignait d’une étonnante disponibilité qui n’avait d’égale que sa force de travail.
Un jour où je lui dis que je ressentais une sorte de mauvaise conscience à l’idée d’abuser de son temps, il me répondit quelque chose comme : « J’ai effectivement très peu de temps, voire pas du tout, mais il m’en reste toujours pour celui qui en a pour moi. »
Hélas, de nombreux projets restent désespérément en suspens. Parmi ceux qui semblent tenir bon, un livre d’artiste avec Julius Baltazar qui sera réalisé par l’Imprimerie Nationale au printemps prochain. Outre des planches graphiques de Baltazar, des textes de Philippe Delaveau et mes partitions, le livre inclura des enregistrements de séquences de guitare électrique et de flûte par Alain Blesing et Claudie Boucau ; un autre livre d’artiste, comprenant un diptyque de partitions pour quatuor à cordes avec Vincent Bioulès, est également en préparation.
Ancienne élève de l’Ecole nationale des chartes, Marie Minssieux-Chamonard, née en 1974 est conservatrice en chef à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France. Spécialiste des livres d’artiste, elle est responsable des collections des XXe et XXIe siècles. Elle a été commissaire de plusieurs expositions à la BnF dont « Michel Butor: l’écriture nomade » (2006), « Zao Wou-Ki: estampes et livres illustrés » (2008), « Richard Prince: American Prayer » (2011), « Matthew Barney : la chambre de sublimation » (2013), » Anselm Kiefer : l’alchimie du livre » (2015). Elle prépare une exposition consacrée à Giuseppe Penone pour octobre 2021. Elle rédige actuellement une bibliographie des livres illustrés de Michel Butor (1962-2016) publiée par les éditions BnF. Le premier fascicule couvrant les années 1962-1990 est paru en mai 2020.
J’ai rencontré Michel Butor très jeune, en 1997, lorsque j’étais encore élève à l’Ecole nationale des chartes. En dépit de l’excellence des cours et de l’ouverture des enseignements vers les arts du XXe siècle, j’aspirais à mieux comprendre les rouages de l’art contemporain. Je cherchais donc un sujet de thèse de l’Ecole des chartes qui m’amènerait à explorer les voies de la création contemporaine et à être en relations étroites avec le monde de la création littéraire et artistique, tant les écrivains et les artistes m’ont toujours fascinée. Je suis allée consulter Antoine Coron, alors directeur de la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France, qui m’a conseillé de travailler sur les livres d’artistes manuscrits de Michel Butor, sujet qui n’avait jamais été étudié jusqu’alors et qui, pour être bien traité, devait forcément passer par l’écrivain. Je me souviens qu’Antoine Coron a appelé devant moi Michel Butor pour lui exposer la situation et Michel a aussitôt accepté de me recevoir à Lucinges.
C’est ainsi qu’à l’été 1997 je me suis rendue, toute intimidée, chez le grand écrivain dont j’avais étudié les romans en khâgne peu de temps avant. Je me souviendrai toujours de ma première visite à Lucinges, dans cette belle maison remplie jusqu’au plafond de livres et d’œuvres d’art, si chaleureuse et accueillante. Michel Butor, non seulement m’a encouragée à étudier ses livres d’artiste, mais il m’a aussi ouvert son carnet d’adresse en me recommandant à des dizaines d’artiste avec qui il avait travaillé. C’est ainsi qu’au cours de l’année 1997-1998 j’ai fait mon tour de France à la rencontre de peintres, de sculpteurs, de photographes ayant réalisé des livres d’artiste avec Michel Butor afin d’établir un catalogue des livres d’artistes manuscrits entre 1968 et 1998. Je fis ainsi la rencontre de Joël Leick à Thionville, d’André Villers à Mougins, de Bertrand Dorny et Anne Walker à Paris, de Julius Baltazar à Vitry, etc. J’ai gardé des liens d’amitié avec la plupart des artistes à qui j’ai rendu visite. Lors de ma soutenance de thèse à l’Ecole des chartes, située à l’époque sur la place de la Sorbonne, la plupart des artistes que j’avais étudiés sont venus me soutenir et même Michel Butor, qui m’a fait la surprise de venir en pleine soutenance, troublant durablement le jury et l’impétrante ! Son apparition fracassante est sûrement inscrite dans les annales de l’Ecole des chartes.
Dès mon arrivée à la Réserve des livres rares de la BnF en 2004 on m’a chargé d’organiser une exposition sur Michel Butor pour ses 80 ans avec une collègue du département des manuscrits, ce qui représentait une chance inouïe de valoriser mon travail de recherche. Le défi pour moi a été de concevoir une exposition qui montre toute la richesse de nos collections et qui en même temps rende compte de l’univers de Michel Butor sans le trahir, lui qui déteste les formes figées, les classements, lui qui n’a cessé de traverser les frontières et d’inventer de nouvelles formes textuelles. Très vite le thème du voyage s’est imposé à nous. Le voyage est en effet très important dans sa vie depuis son premier voyage en Egypte où il est parti enseigner le français dans les années cinquante. Il n’a cessé depuis de sillonner la planète, de pratiquer en nomade son métier d’écrivain et de professeur conférencier, attentif au « génie du lieu ». Dans cette œuvre ouverte, le voyage y est à la fois source, thème et vecteur d’écriture : voyage à travers les villes et les continents, mais aussi à travers les genres littéraires (roman, poésie, essais), les expressions artistiques et leur mise en dialogue (musique, peinture, et l’immense floraison des livres d’artistes), voyage à travers les formes du livre, enfin voyage à travers les structures de l’écriture. D’où le titre de l’exposition : « Michel Butor, l’écriture nomade » et cette jolie représentation de la planète Butor par ce livre en forme de globe réalisé par Bertrand Dorny. L’exposition a tenté de recréer de façon ludique la « Planète Butor » ou la « Géographie butorienne ». En collaboration avec Michel Butor, nous avons élaboré un parcours en treize étapes, en treize lieux à la fois réels et fantasmatiques. A chaque lieu –ville, pays ou continent- étaient associés un thème et un livre-emblème. Ainsi était-il proposé un voyage non seulement dans l’espace mais aussi dans l’œuvre et dans la vie de l’écrivain ; s’écrivait donc sous les yeux du visiteur une manière d’autobiographie déguisée.
A la suite de cette exposition, Michel Butor a fait une importante donation de livres d’artiste et d’éditions originales afin de compléter notre fonds, déjà très riche. Ses livres d’artiste ont ajouté un intérêt significatif à notre collection de livres d’artistes et de bibliophilie, la plus importante au monde avec plus de 15 000 volumes. Ces livres précieux qu’on appelle « livres d’artistes » ou « livres illustrés de bibliophilie » réalisés par des artistes de courants esthétiques divers sont entrés dans les collections nationales dès la fin du XIXe siècle grâce au dépôt légal, aux dons et aux acquisitions et continuent d’être le cœur vivant de la Réserve des livres rares. Je voudrais ici insister sur l’importance des dons et sur la générosité des artistes qui offrent régulièrement leur production à la Réserve des livres rares. Grâce à eux, celle-ci peut s’enorgueillir d’être le conservatoire du livre d’artiste en France et le principal lieu de recherche sur ce genre artistique. Très prochainement, grâce à la générosité de Mme Cortot, la Réserve des livres rares de la BnF va accueillir un don très important de 120 livres d’artistes (imprimés et manuscrits) du peintre Jean Cortot.
Les livres de Michel Butor se trouvent conservés dans pratiquement tous les départements de la BnF : département littérature et art, département de l’audiovisuel, Réserve des livres rares, département des estampes et photographie et bien sûr dans le département des manuscrits. Cela représente plus de 1000 ouvrages et plus de 150 cartons de correspondance avec des éditeurs, des philosophes, des écrivains, des musiciens, des photographes et des peintres. Un océan à lui tout seul. A la Réserve des livres rares, le fonds Butor représente plus de 300 livres d’artiste réalisés de 1962 à nos jours. Cette collection remarquable s’est enrichie principalement par dépôt légal, complété par des dons et quelques acquisitions. Par exemple j’ai pu acquérir chez un libraire en 2011 le premier ouvrage de Michel Butor écrit à 17 ans, Noël 1943. Une petite édition placée sous l’égide du clan scout Saint-François Xavier et illustrée de quatre gravures de son futur beau-frère, Jacques Bertoux ! Cette rareté méconnue des bibliographes de Michel Butor a été entièrement gravée sur linoléum à 54 exemplaires sur papier Canson et imprimés par le père de Michel Butor. On peut considérer que cet ouvrage est en réalité le premier livre d’artiste de Michel Butor. Ce dernier a de son vivant effectué des donations régulières à la BnF car il était, je crois, profondément attaché à la nationale. En sa mémoire, les filles de Michel ont souhaité perpétuer cette tradition en complétant notre collection en 2019 par le don de 84 livres. La BnF conserve désormais un des plus grands fonds de livres d’artiste de Michel Butor, avec le Manoir des livres à Lucinges, la bibliothèque Bodmer à Genève, la Bibliothèque municipale à vocation régionale de Nice et la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet à Paris. Dans le fonds Butor de la BnF, toutes les époques sont représentées, avec un point fort sur les débuts de réalisation des livres d’artistes (période 1962-1990) et toutes les formes du livre pratiquées par l’écrivain, et notamment les livres manuscrits, s’y trouvent. Les filles de Michel ont émis le souhait que la BnF engage le travail d’identification et de description de ces livres, afin de mieux les faire connaitre du grand public. J’ai eu l’honneur de me voir confier ce travail de longue haleine et de patience ! Car la plus grande des difficultés est de répertorier et de localiser les livres d’artistes de Michel Butor. En effet Michel n’avait pas forcément un exemplaire de chacun de ses livres chez lui, or il a travaillé avec plusieurs centaines d’artistes répartis dans toute la France ! L’aide des filles de Michel est absolument indispensable. La bibliographie publiée par les éditions de la BnF sur le portail Open Edition Books, accessible à tous et imprimable à la demande, couvrira les années 1962 à 2016. Quatre fascicules sont prévus pour les années 1962-1990, 1991-2000, 2001-2010 et 2011-2016. Le premier fascicule a été publié en mai dernier.
Pour l’année 2021 j’ai deux expositions en préparation. Tout d’abord pour juin 2021 j’organise une exposition de la donation de livres d’artistes de Jean Cortot dans notre galerie des donateurs. Puis à l’automne 2021 aura lieu une grande exposition consacrée au sculpteur italien Giuseppe Penone avec qui je travaille depuis deux ans maintenant. Dans cette exposition construite à partir d’une œuvre spécialement réalisée par l’artiste pour la BnF seront présentés des livres d’artistes, des sculptures, des photographies et des œuvres plastiques inédites. Cette exposition prolonge le cycle d’expositions consacrées aux artistes d’envergure internationale dont le travail questionne la forme du livre et de l’écriture. C’est dans ce cadre que j’ai été commissaire de plusieurs expositions d’art contemporain à la BnF : Richard Prince en 2011, Matthew Barney en 2013 ou Anselm Kiefer en 2015.
La peinture commence. La peinture continue. La peinture n’en a jamais fini. Nous n’en avons jamais fini avec la peinture. Elle est. Elle s’ouvre aussi à ce qu’elle n’est pas encore. Elle s’infinit. Il s’agit pour l’artiste et le regardeur de peindre encore, de faire et défaire la peinture, nouer et dénouer la lumière et les couleurs, de chercher une épiphanie dans leur matière même : ce qui reste à peindre, ce qui vient. La peinture est le lieu de nous où toute chose se dénoue [Aragon]. Avec la lumière, chaque couleur seule va vers d’autres couleurs seules, glacis, entrelacs, il lui est nécessaire de tendre vers des confins, des côtoiements. La peinture est ici irréversiblement nomade, renversée, égarée, et même avec ses questions, ses repentirs, elle est roman de la fluidité [Bernard Noël].
Jean-Gabriel Cosculluela
Catalogue édité en 2020 par le Manoir des livres et les éditions Fabelio.
Préface de Jean-Gabriel Cosculluela.
80 pages • broché • 22€
22 cm x 28 cm
ISBN : 978-2-491853-00-6
L’univers pictural de Julius Baltazar a été influencé par l’esthétique surréaliste, le mouvement de l’abstraction lyrique (Olivier Debré, Zao Wou-ki, Pierre Dmitrienko…) et le groupe des Nuagistes (René Laubiès, Frédéric Benrath…). Michel Butor y décèle aussi des influences plus lointaines: « C’est une peinture qui me fait penser à Turner à cause de ses orages et de ses marines,mais aussi etsurtout à Claude le Lorrain à cause des perspectives. Ce sont des gestes, direz-vous, mais des gestes de perspectives avec glissements de terrain, raz-de-marée, plissements alpins et geyser du Yellowstone. Donc des perspectives multiples et mouvantes pour capter une lumière toujours changeante. »
Catalogue édité en 2014 par la Mairie de Lucinges et sous la responsabilité de Lucien Giraudo
95 pages • broché • 25€
ISBN : 978-2-9534453-6-7
Les livres pauvres - qui ne sont pauvres que par le papier modeste proposé aux artistes - ont la grâce de s'enrichir grâce à l'écriture manuscrite de l'écrivain et l'oeuvre originale du plasticien (peintre ou photographe). Et l'aventure s'enrichit plus encore du fait que, tournant le dos aux circuits commerciaux, les livres dits « pauvres » sont destinés à être montrés au public le plus large possible, et non aux seuls collectionneurs et bibliophiles.
Catalogue édité en 2013 par la Mairie de Lucinges.
Photographies et notices détaillées des œuvres présentées ; textes de Daniel Leuwers et Michel Butor.
Dépliant et brochure dans une pochette, format fermé 21 x 24,5 cm.
Tirage : 1000 exemplaires.
Mon cher Pierre tu venais
de m’appeler pour me dire
que tu te rendais à Lyon
y revoir des médecins
qui voulaient t’examiner
pour éclaircir quelque peu
ton cas qui les intriguait
Extrait d'un poème de Michel Butor
pour Mylène Besson
in memoriam Pierre Leloup
Catalogue édité en 2012 par de la commune de Lucinges sous la responsabilité de Jean-Pierre Bordet.
96 pages • broché • 25€
Tirage à 500 exemplaires
21 x 24,5 cm
ISBN : 978-2-9534453-4-3
Les Dorny… Elle et lui, lui et elle, Anne et Bertrand, dans leur laboratoire central du VI° : Dorny-Walker’s Workshop & Cie ; et si je le mets en anglais, c’est à cause de la binationalité et du bilinguisme de la famille. Et qu’est-ce qui s’y élabore ? i>Catalogiquement (si cet adverbe était toléré) la liste des travaux serait longue; et en la descendant comme y insiste le préfixe, ça donnerait più di mille e tre… encore que l’expression donjuanesque ne convienne littéralement qu’au seul Michel Butor, l’ami, le compagnon. Oui, il s’agit d’accompagner, comme fait la musique ; de faire-avec, ensemble ; le plus souvent en duo, comme une danse. « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaines d’or d’étoile à étoile, et je danse », disait l’Illuminé.
Claude-Henri Buffard
Catalogue édité en 2011 par de la commune de Lucinges sous la responsabilité de Jean-Pierre Bordet.
Préface de Claude-Henri Buffard.
96 pages • broché • 20€
Tirage à 500 exemplaires
21 x 24,5 cm
ISBN : 978-2-9534453-3-6
Chère Catherine, Cher Axel, nos montagnes refleurissent pour accueillir les vôtres et elles échangent leurs échos.
Michel B.
Catalogue édité en 2010 par de la commune de Lucinges sous la responsabilité de Jean-Pierre Bordet.
Préface de Marcel Cottier.
96 pages • broché • 20€
Tirage à 500 exemplaires
21 x 24,5 cm
ISBN : 978-2-9534453-2-9
Au décrochement vertical de la ligne de crête, de l'autre côté de la vallée, répond l'arête oblique et pure de sa maison, qu'il a lui-même dessinée. Telle un origami venu se poser là, portée par les vents, comme taillée dans le synclinal perché du massif de la Chartreuse, elle n'avoue pas tout de suite ses racines, qui sont pourtant profondes, dans les entrailles du site des Charbinières. Là, au chaud de la terre, l'alchimie pessinoise fait son oeuvre. Les fibres cellulosiques du papier se transforment, se transmutent, deviennent feuilles pliées et repliées, encrées, gravées, estampées, huilées par la main de l'architecte. Marc Pessin habite le pli de la montagne, le toit de sa maison s'y insinue, sa manufacture à rêves y a fait son nid, les innombrables vagues de ses livres s'y propagent. En résonance avec ceux qui ont fait du pli le point d'inflexion de leur poésie ou de leur philosophie, de Mallarmé à Gilles Deleuze, jusqu'à Henri Michaux : la vie dans les plis.
Claude-Henri Buffard
Catalogue édité en 2010 par de la commune de Lucinges sous la responsabilité de Jean-Pierre Bordet.
Préface de Claude-Henri Buffard.
96 pages • broché • 20€
Tirage à 500 exemplaires
21 x 24,5 cm
ISBN : 978-2-9534453-1-2
Pour les habitants de Lucinges, de l'agglomération, du département, de la région, du pays, de l'Europe, etc...
Michel Butor
Catalogue édité en 2009 par de la commune de Lucinges, sous la responsabilité de Jean-Pierre Bordet.
Préface d’André Clavel.
96 pages • broché • 20€
Tirage à 1000 exemplaires
21 x 24,5 cm
ISBN : 978-2-9534453-0-5