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Entretien avec Virgile Legrand, fondateur des Editions Virgile

mercredi 31 juillet
La parole à

Virgile Legrand, présentez-vous

Je suis né en 1956. Mes parents exerçaient la profession de libraires.

Passionné pendant mon adolescence par la littérature, la peinture et le théâtre, j’ai choisi de devenir scénographe.

Je suis entré sur concours au TNS ( Théâtre National de Strasbourg).
En suivant l’enseignement du TNS je me suis rendu compte que ce n’était pas l’idée de l’avenir professionnel que j’avais à l’esprit.

Au sortir de mes études de scénographie, j’ai donc repris des études aux Beaux-Arts pour une formation de design graphique.

Une fois diplômé, j’ai travaillé dans un bureau de Design à Paris où je m’occupais des livres publiés pour les expositions d’art organisées par le groupe Louis Vuitton.

Par la suite, je me suis occupé des livres et Hors Série publiés par le magazine L’Expansion puis des livres et Hors Série du Magazine Beaux-Arts.

Fort de cette expérience d’une dizaine d’années, je suis devenu designer graphique indépendant spécialisé dans les catalogues des grandes expositions pour différentes bibliothèques et musées (Beaubourg, Grand Palais, musées de Paris, de Lyon, de Dijon….).

 

Étant né presque au milieu des livres, dans la librairie familiale, je n’avais qu’une envie : publier mes propres ouvrages.

En 1998, j’ai donc créé les Editions Virgile à Dijon où je me suis installé avec mon épouse et mes deux enfants.

Puis en 2008, j’ai fait l’acquisition d’une galerie d’art à Paris dans le Quartier Latin, rue de l’Université, pour présenter nos livres de bibliophilie contemporaine, livres moins visibles auprès du public, car non diffusés dans les librairies.

Par ailleurs, j’organisais au sein de cette galerie des expositions avec les artistes avec qui je collabore pour la conception des livres.

En mars 2023, j’ai cédé ma galerie pour me consacrer uniquement à la création et la publication de livres de bibliophilie en tirage très limité.

Pouvez-vous nous présenter votre maison d’édition ?

J’ai fondé en 1998 les Editions Virgile avec le projet de publier des livres de littérature et de bibliophilie contemporaine.

Le terme de bibliophilie contemporaine fait référence à une tradition du “beau livre” qui s’est développée à l’orée du vingtième siècle grâce à l’initiative d’éditeurs – galeristes, comme Ambroise Vollard, Daniel-Henry Kahnweiler ou Aimé Maeght, qui ont su orchestrer dans des ouvrages d’exception la rencontre entre poètes et peintres.

Je conçois les livres de bibliophilie en coopération avec des écrivains et des artistes peintres, mais également des musiciens ou des grands chefs cuisiniers en associant toutes ces personnalités à des projets éditoriaux inédits.

Aujourd’hui les Éditions Virgile comptent près de 200 titres répartis dans cinq collections de livres en édition courante et de bibliophilie dans lesquelles écrivains ou peintres et musiciens ont trouvé leur place.

 

Betsy Jolas et Philippe Albèra « Betsy Jolas »

A quelle date avez-vous commencé à collaborer avec Michel Butor ?
Quand et comment s’est déroulée cette première rencontre / collaboration ?
Combien de livres d’artiste avez-vous réalisés ensemble ?

J’ai écrit à Michel Butor en 1999 pour lui proposer un projet éditorial et je l’ai rencontré en 2001 dans sa maison à Lucinges.

Michel Butor était un homme chaleureux qui vous adoptait facilement dans son groupe d’amis, de poètes, et de peintres.

J’ai réalisé huit livres avec Michel Butor, qui sont à la fois des essais sur l’art pour quatre d’entre eux et des ouvrages de bibliophilie pour les quatre autres.

Pour notre première coopération, j’avais écrit à Butor pour lui passer commande d’un texte en lui proposant comme sujet soit Matisse, soit Picasso. Quelques temps plus tard, je recevais en tapuscrit le livre intitulé « Cantique de Matisse », sorte de portrait en miroir du peintre et du poète.

Ce livre a rencontré un joli succès éditorial, ce qui m’a incité à commander un second texte à l’auteur, qui me confia un peu plus tard un essai sur Delacroix.

Un autre jour, à la faveur de l’une de mes visites à Lucinges, Michel Butor m’a montré un bel ensemble de photographies en noir et blanc qu’il avait réalisées entre les années 1950 et les années 1960, empilées dans une boîte bien rangée sur les étagères derrière son bureau.

 

Michel Butor en compagnie de Virgile Legrand

Michel Butor a pratiqué la photographie de 1951 à 1962.

En photographe amateur et passionné, il a photographié des lieux souvent dépourvus de personnages, des paysages, ou des détails d’architecture, des effets de perspective, des jeux d’ombre, etc., lors de ses voyages en Italie, en Grèce, en Turquie, en Espagne et à l’occasion de sa première découverte des États-Unis. La plupart des photos en noir et blanc que Butor me montra ce jour-là avaient été prises lors de son premier séjour aux États-Unis.

Avec ce bel ensemble, nous avons composé un livre en édition courante et un ouvrage de bibliophilie enrichi de photos originales signées.

Assez régulièrement, venant de Paris, je rendais visite à Michel Butor, dans sa maison sur la montagne au-dessus de Genève. Je passais la journée avec lui pour parler de nos projets éditoriaux et invitais Michel et Marie-Jo à déjeuner à la table d’un bon restaurant des environs.

Comme à mon habitude avec les auteurs et artistes avec qui je collabore, je profitais de ces moments privilégiés pour interroger Butor sur ses rencontres et ses amitiés littéraires.

Un jour, il me brossa le portrait de Roland Barthes qui fut l’un de ses amis les plus chers, du temps de leur jeunesse jusqu’à la mort accidentelle de l’auteur de Fragments d’un discours amoureux.

Une autre fois je l’interrogeais sur les auteurs qui composèrent le groupe du Nouveau Roman. Il me raconta l’amitié qui le liait à Nathalie Sarraute et Claude Simon.

Une autre fois encore, il me décrivit les mises en scène de pièces qu’il concevait dans une sorte de mascarade surréaliste avec la complicité de ses deux amis, le romancier Pierre Klossowski, et son frère, l’artiste Balthus.

Je garde un heureux souvenir de ces moments partagés et des livres que nous avons créés ensemble.

Horloge à San Francisco, 1960 Photographie de Michel Butor

Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur le processus de création des ouvrages avec les artistes ?

La plupart de nos ouvrages sont imprimés en typographie au plomb sur papier chiffon, tirés à seulement une dizaine d’exemplaires pouvant parfois aller jusqu’à 80 exemplaires.

Tous ces livres sont signés sur l’une des dernières pages, appelée page du colophon.

Chacun des livres rares que je publie est enrichi d’œuvres originales et parfois de recettes originales de cuisine lorsque je travaille avec un grand chef, ou de partitions de musique lorsque je crée des livres avec des musiciens.

Pour vous donner un exemple, j’ai voulu aborder la musique contemporaine en créant des livres rares avec les compositeurs Pascal Dusapin, Betsy Jolas et Georges Aperghis.

Pour enrichir ces ouvrages imprimés à seulement huit exemplaires, j’ai proposé aux compositeurs de me donner des partitions manuscrites originales de leurs œuvres.
Leurs partitions manuscrites, témoignages de « Work in Progress » de ces musiciens aux styles résolument différents, sont glissées dans chacun des livres et confèrent ainsi une valeur particulière à ces publications.

Pour concevoir mes livres rares, j’ai pour habitude de rencontrer les auteurs et artistes lors de trois ou quatre sessions de travail préliminaire afin de bien nous entendre sur le projet éditorial à venir.

A la fin de ces rendez-vous de travail, j’ai plaisir à inviter à déjeuner les auteurs et artistes afin de partager quelques instants plus personnels. Je profite de ces moments privilégiés pour leur poser des questions sur leurs parcours artistiques, littéraires ou musicaux.

Sappho, Albert Woda, ADAGP, Paris, 2024 (2)

Sur quelles nouvelles publications travaillez-vous actuellement ?

Nous avons 9 livres en cours et en chantier dont, entre autre, un livre avec un grand chef cuisinier, un livre avec Robert Combas, un livre sur le théâtre, un livre sur Marcel Proust et un livre avec le pianiste de jazz Keith Jarrett, …

 
Des projets très différents les uns des autres et c’est cela qui rend ces publications intéressantes pour moi et les auteurs ou artistes avec qui je les crée.

Les deux Odalisques, Sara Yencesse- Michel Butor (1)