Entre 1951 et 1961, Michel Butor réalise près de 2000 photographies en noir et blanc avec un appareil Semflex, une copie française du Rolleiflex.
Photographiant paysages et lieux au cours de ses voyages, il renonce finalement à la photographie afin de pouvoir se consacrer pleinement à l’écriture.
Son désir de photographie nait à la suite d’un long séjour en Egypte, Il commence par photographier les témoignages parisiens du retour d’Egypte de Napoléon Bonaparte. C’est auprès de l’un de ses beaux-frères sculpteur qu’il découvre les rudiments du métier.
Michel Butor ne recadre pas ses photographies, il cherche moins à fixer des « souvenirs » qu’à « inventer une image » : avec son appareil Semflex, le viseur devient « un instrument d’exploration qui lui fait voir ce qu’il n’aurait pas vu sans lui.» « Très rapidement j’ai eu un viseur dans ma tête [1] » dit-il.
C’est au moment où il cesse de photographier qu’il commence à écrire sur ou pour des photographes.
[1]. Souvenirs photographiques, un viseur dans la tête, Pour Philippe Lutz, in œuvres complètes, volume X, Recherches, pp 1121-1179
Michel Butor a également posé tout au long de sa carrière pour de nombreux photographes, Robert Doisneau en 1958 au moment du succès de son roman la Modification pour lequel il reçut le prix Renaudot en 1957, Léon Herschtritt dix ans plus tard, Adèle Godefroy en février 2016 à Lucinges quelques mois avant son décès.
Maxime Godard, devient rapidement son portraitiste attiré, réalisant plus de 18 000 photographies du poète.
Une série de portraits, réalisés entre 1958 et 2016 sera exposée.
Parmi les milliers de livres d’artiste réalisés par l’écrivain, on compte un fructueux dialogue avec des photographes. Michel Butor est aussi l’auteur de textes accompagnés de photographies publiés dans des éditions courantes et d’écrits sur la photographie et les photographes.
Seront présents dans l’exposition à travers plus de 150 livres d’édition courante et livres d’artiste : Jacques Clauzel, André Villers, Serge Assier, Lucien Clergue, Maxime Godard, Bernard Plossu, Joël Leick, Eric Coisel, Thierry Lambert, Pierre Leloup, Jean-François Bonhomme, Denise Colomb, Denis Roche, Edouard Boubat, Olivier Delhoume, Daniele Ferroni, François Garnier, Philippe Colignon, Jean-Pierre Thomas, Gérald Minkoff et Muriel Olesen, Marie-Christine Schrijen, Bertrand Dorny, Tony Soulié, Gérard Lüthi, Jean-Baptiste Leroux, Pascal Dolémieux et Henri Maccheroni…
Parmi tous les photographes, Marie-Jo, son épouse, tient une place particulière. Ensemble, entre 1989 et 2010, ils réalisent une collaboration unique sous la forme de photographies de voyage prises par Marie-Jo, puis manuscrites à l’encre noire par le poète qui sera présentée à la maison d’écrivain Michel Butor.
On a longtemps ignoré que Michel Butor avait, pendant dix ans, de 1951 à 1961, intensément pratiqué la photographie et qu’il avait fait une œuvre à part entière.
C’est en 2015 qu’il confie à Mireille Calle-Gruber des centaines de négatifs triés et conservés avec soin dont la plupart n’avait pas eu de tirages.
Il en est résulté un somptueux album Au temps du noir et blanc, de 119 photographies choisies par Butor qui en a organisé la succession et a réglé le rythme du volume (Edition Delpire, 2017). Décédé le 24 août 2016, l’écrivain n’a pu rédiger les légendes ; Mireille Calle-Gruber a alors opéré, en contrepoint, un montage d’extraits de ses écrits, de sorte que l’œuvre vu et l’œuvre lu configurent un gigantesque mobile butorien.
Les sujets photographiés sont des lieux, souvent sans personnages : des paysages, des sites archéologiques, des volumes urbains, détails d’architecture, effets de perspectives, jeux d’ombre. Le point de vue, le cadrage, les plans et lignes de construction voire une véritable scénographie animent l’espace et en révèlent l’âme. La photographie devient ici écriture, elle trace les graphies du regard.
La pratique photographique de Michel Butor est toute singulière. C’est avant le déclic que le travail se fait. Butor a d’abord besoin de faire corps avec le lieu : il se « fond dans le paysage », il y revient plusieurs fois, observe les fluctuations de l’éclairage au cours de la journée, il traite le lieu à photographier comme un théâtre pour les scènes de la lumière.
Entre technique et rêve, il se dote ainsi d’un « viseur dans la tête », et c’est au moment juste, au moment propice (kairos) que la prise photographique est déclenchée.
Le choix de l’appareil est déterminant. Au Leica que l’on ajuste à l’œil, et qui attrape les images au vol, Butor préfère le Rolleiflex que l’on tient au niveau du ventre et qui fait « un carré dans l’œil ». Il ne fait pas de photographie aventureuse, il réalise une photographie méditative, penché sur le mécanisme, tout à l’écriture de la lumière.
L’image prise, il ne la retouche jamais en chambre noire.
Michel Butor a photographié ainsi, pendant ses voyages en Grande-Bretagne, en Italie, en Grèce, en Turquie, en Espagne et lors de sa première découverte des Etats-Unis. Ces images sont ses premiers « génies du lieu » : les photographies ont précédé l’écrit et inspiré le volume de textes publié en 1958, textes dans lesquels il fait un récit géo-poétique de Cordoue, Istanbul, Delphes, Salonique, Mallia, Mantoue, Ferrare (Le Génie du lieu).
Michel Butor a arrêté la photographie parce que ce minutieux travail de repérage lui prenait trop de temps et d’énergie, et qu’il avait choisi de se consacrer entièrement à l’écriture.
Cependant, il a continué à exercer son « viseur dans la tête » en examinant les photographies de ses amis qu’il accompagne. Il a écrit avec et autour des images de Gérald Minkoff et Muriel Olesen (Le Voyage d’Egypte; côte à côte), celles de Bernard Plossu, d’Henri Maccheroni, de Serge Assier (Cronaca di Roma, avec Arrabal, 2005), de François Garnier, d’Olivier Delhoume (Cent instants japonais); il a réalisé plusieurs livres d’artiste avec Maxime Godard (L’Atelier de Man Ray, 1985; Une visite chez Pierre Klossowski, 1987; En compagnie de Michel Butor, 2012) – Maxime Godard qui, devenu son photographe attitré, a pris de lui d’innombrables et magnifiques portraits.
Puis c’est avec Marie-Jo que Butor collabore, légendant de ses micro-récits les photos couleur qu’elle fait lors de leurs voyages en commun.
Michel Butor a développé une réflexion très personnelle sur l’art de la photographie, où il entrelace l’essai, le poème et la prose poétique : « Le monochrome », « La philosophie du polaroïd » ; sur la couleur et sur « la modulation lumineuse ».
Le photographe est toujours à la fenêtre.
Michel Butor-photographe est une fenêtre.
Il prend aux mots la métaphore et la décline poétiquement :
« Le photographe est une fenêtre ; son œil, c’est sa vitre ; ses paupières, ce sont ses rideaux ; son cadre, c’est son orbite. »
« Les rideaux de la vision, c’est la discrétion ; sa vitre, c’est l’émerveillement. » (Souvenirs photographiques.)
Photographie en couverture de cette page : Michel Butor à son bureau en 1968 © Léon Herschtritt – LA COLLECTION
Conférence accueillie au Manoir des livres dans le cadre de l’exposition Michel Butor « la photographie est une fenêtre ».
Du mardi au samedi de 14h à 18h.
Le matin sur réservation préalable, notamment pour les groupes.
Gratuité chaque 1er dimanche du mois : de 14h à 18h.
Visite guidée sur réservation.
Téléphone accueil et réservation : 04 58 76 00 40
ou : accueil@archipel-butor.fr