Gaëlle Callac
Diplômée d’un DNSEP, mon travail plastique trouve sa source dans les mots, la littérature. Mes images s’incarnent en eau-forte principalement mais aussi en vidéo. Le livre est souvent au cœur de mes préoccupations. J’en écris pour la jeunesse, je le filme, le découpe, le colore à l’envi. Les papiers m’inspirent autant que les images que je découpe dans des ouvrages anciens. Ma production se nourrit d’éléments picorés ici et là.
Jeanne Truong
Je suis écrivain, commissaire d’exposition et critique d’art. L’écriture demeure dans tout ce que je fais l’ami souterrain et fidèle de mon existence.
La littérature est à la fois une vocation et un artisanat pour moi. Elle me permet de vivre de multiples expériences de vie et constitue le foyer où je peux me ressourcer, me concentrer dans une activité à l’intérieur d’une durée longue. En d’autres termes, après la dispersion des péripéties de l’existence, l’écriture m’offre la joie de me recentrer, de pratiquer une forme de méditation, et de prendre le recul nécessaire pour me retrouver et retrouver les autres dans une relation plus réelle et plus aimante.
JT : Je ne connaissais pas la résidence de l’Archipel Butor, c’est Gaëlle qui me l’a fait connaître en me proposant de souscrire avec elle à la candidature de la session 2021. Ayant suivi le travail de Gaëlle sur plusieurs années, j’étais enthousiaste et ne doutais pas qu’une collaboration avec elle serait de qualité, riche en réflexions, partages et découvertes.
L’idée d’un livre d’artiste m’a immédiatement séduite. J’avais auparavant beaucoup collaboré et réfléchi sur ce support avec de nombreux artistes avec lesquels j’ai travaillé.
Et par ailleurs ayant à imaginer des catalogues d’exposition, les questionnements de supports, formes, formats, espace de la page, typographie, objet-livre… me sont familiers, outre le fait que j’aime beaucoup les livres d’illustrations, la bande dessinée et le manga.
Ayant une pratique amateur du dessin, de la peinture et de la photographie, et connaissant le désir de Gaëlle d’écrire, je lui ai proposé de faire un livre dans lequel nous pourrions épanouir toutes nos envies dans les multiples médiums, y compris ceux qui n’étaient pas dans nos domaines de prédilection.
Par ailleurs, j’ai réfléchi à un principe de livre qui pourrait nous permettre à la fois d’investir l’espace de l’autre tout en épanouissant son propre univers. Par mon expérience des salons littéraires et des librairies, j’ai toujours été étonnée par la place qu’occupaient le titre et la quatrième de couverture dans le choix d’un lecteur d’acheter ou non le livre, parfois sans même ouvrir l’ouvrage. L’idée m’est venue naturellement de proposer à Gaëlle un projet sur la première et la dernière de couverture.
S’est posé le problème de la forme que pourrait prendre cet ouvrage commun. J’ai été inspirée par les livres d’artiste de Michel Butor et j’ai proposé à Gaëlle la forme du Leporello, qui par son aspect en « accordéon », son recto-verso, et le fait que c’était à la fois des pages et un objet concret en un seul tenant, m’apparaissait incarner physiquement une relation de travail à deux, et offrait des possibilités de jeux de miroir, de chiasmes, de parallélismes… très prolifiques.
Gaëlle m’a alors dit qu’elle faisait justement une formation sur le Leporello. Nous avons donc adopté ce choix. A son tour, elle m’a proposé d’utiliser un papier japonais qu’elle a l’habitude de travailler. Le papier m’a plu par son aspect ivoire qui donnait une impression d’usure, que je recherche pour mes dessins.
Par ailleurs, la perspective d’une médiation avec le public, les élèves et les étudiants m’enthousiasme beaucoup. Ce sera l’occasion d’échanges et de transmissions j’en suis sûre mutuellement très fructueux (j’ai gardé un très bon souvenir des ateliers d’écriture que j’ai pu donner par le passé).
GC : Pour Jeanne comme pour moi, il s’agit de notre première résidence. Jeanne ayant été commissaire d’exposition – je suis allée à beaucoup de ses expositions – et étant férue d’art, j’ai pensé que ce projet de duo « Auteure(e)/plasticien(ne) » pouvait l’intéresser. Aussi lui ai-je proposé de candidater avec moi. Le plaisir de réfléchir ensemble sur un livre d’artiste était très enthousiasmant. Quoi ? Comment ? Échanger sur des goûts et des intentions. Concevoir des activités de médiation. Tout était passionnant. Je voyais cette résidence comme une parenthèse enchantée dans le quotidien. Cumulant une activité d’éditrice avec celle de plasticienne, c’est la première fois que je vais pouvoir me consacrer pleinement à une réalisation plastique sur un laps de temps aussi long. J’ai déjà réalisé un livre d’artiste, seule, mais jamais en duo.
GC : Je connaissais l’œuvre de Michel Butor que j’ai amorcée par la lecture de La modification, dans ma jeunesse. Il a ensuite croisé mon chemin à maintes et maintes reprises. Un jour, j’ai gravi la montagne pour découvrir sa maison « À l’écart » à Lucinges. Son œuvre a quelque chose de vertigineux dans sa pluralité des genres, dans sa quantité d’ouvrages réalisés, la qualité. Je connais son parcours mais suis loin d’avoir lu tous ses livres. J’aime beaucoup l’écouter et le regarder.
JT: J’ai lu très jeune La modification qui a représenté pour moi une expérience littéraire nouvelle. J’ai lu ensuite L’emploi du temps qui a été une lecture faite de pauses et de reprises. Bien que ce soit un roman policier, en réalité, j’avais du mal à avancer dans l’intrigue à cause de la beauté de ses phrases. Je l’ai lu plutôt comme une grande somme poétique à l’intérieur du genre romanesque. J’ai découvert ensuite qu’il a fait de nombreux livres d’artistes, investissant sans cesse dans une valse protéiforme des relations nouvelles entre mots et images, sens et rythmicité, objet concret-objet abstrait…
J’ai toujours associé Michel Butor à la puissance poétique et à la figure de l’écrivain prolixe et compulsif, celle d’un explorateur et artiste qui n’hésite pas à utiliser de nombreux médiums pour s’exprimer. En ce sens, il est pour moi en littérature ce que Picasso était dans la peinture.
Nous nous connaissons depuis longtemps, nous n’avons jamais collaboré ensemble sur un travail commun. Nous apprécions cependant nos oeuvres respectives.
C’est un travail en duo. Donc le temps de la résidence sera un temps d’échanges, de dialogues et de création. Nous espérons aussi développer des moments de travail avec les élèves et les étudiants d’art de la région. Nous aimerions organiser des séances d’atelier tous les dix jours (à voir avec la résidence et les acteurs de la médiation) où on questionnera ce qu’est un livre d’artiste, le rapport image-texte, ce qu’est un titre et une quatrième de couverture, ce qu’est un Leporello, un Orihon, les enjeux d’un travail en commun, d’un livre à quatre mains… Ces séances seront filmées (les étudiants d’art pourront faire leur propre film (série d’entretiens, reportage, documentaire…) et montrer l’évolution de notre travail semaine après semaine avec leur regard extérieur. Dans l’absolu, nous aimerions réaliser, même s’il n’y a pas d’obligation de résultat, un livre fini. En deux mois, cela nous semble envisageable.
Notre projet s’intitule : « COUVERTURE ET QUATRIÈME DE COUVERTURE » et s’élabore autour d’un objet conçu de la manière suivante : chacune propose à l’autre un livre imaginaire qu’elle va devoir réaliser. Cette proposition repose sur l’observation que beaucoup de lecteurs qui flânent dans les librairies et les salons littéraires, se focalisent sur le début et la fin d’un ouvrage pour s’en faire une idée subjective, à savoir la couverture et la quatrième de couverture d’un ouvrage. Ils imaginent ainsi le contenu d’un livre à partir de ces deux pages stratégiques et cruciales.
Chacune de nous proposera à l’autre un titre et un résumé de quatrième de couverture, ouvrant l’espace entre les deux pour lui permettre d’imaginer le contenu de l’ouvrage. Ce livre, que l’autre devra investir, pourra se construire à l’aide d’écrits, de photographies, de dessins et autre médium nécessaire.
L’une a le désir d’écrire davantage et l’autre, celui de s’exprimer dans des formes plastiques, qu’elle fréquente depuis longtemps en tant que commissaire d’exposition. Le projet prend en compte la polyvalence et la transversalité des expériences et pratiques respectives, qui se croisent par ailleurs et correspond à notre volonté profonde d’étendre nos domaines de création habituels (littérature et arts plastiques) et de déterritorialiser nos pratiques, en les élargissant à une expérience artistique et littéraire plus complète.
Ce projet est idéal car il est commun et en même temps, dans sa contrainte, il offre une grande liberté individuelle. Chacune de nous réalise son livre. Nous souhaitons garder cependant une homogénéité dans la forme. Aussi, nous nous accordons un droit de regard sur le travail de l’une et l’autre.
Résidence Archipel-Butor
Proposition Titre et 4ème de couverture.
Titre : La prophétie du typographe
4ème de couverture :
Révolues, lettrines, enluminures et autres séduisantes calligraphies…
Au fil du temps, toutes les étonnantes typographies se sont évaporées des livres, laissant découvrir des pages sans caractère tels des visages inexpressifs. Sans emphase, une typographie s’est emparée de ces paysages mornes, de manière capitale. Un seul corps, prosaïque, aucune graisse, aucun empattement… Ubiquité.
En filigrane, un groupuscule d’hommes de l’art dans ce domaine, colporte qu’il existerait un livre unique et merveilleux composé de toutes les typographies créées depuis la nuit des temps.
Nul ne sait à quoi il ressemble et où il se trouve.
Il est cependant au cœur des réflexions et recherches de ces amoureux des lettres qui confrontent, sous cape, leurs hypothèses et théories avec assiduité.
Leur seule certitude, ce livre aurait pour titre La prophétie du typographe.
GC : Je travaille sur plusieurs projets : un nouvel « ABC » sur un autre élément et un travail collaboratif : des tissages avec Ilann Vogt. Je finalise ma série de vidéos intitulée « Allégories » qui sera présentée à Marseille, à l’Hôtel Le Ryad en novembre, lors du 34 ème festival de « Les Instants Vidéo ».
JT : Je suis en train de finir un roman, et travaille sur la structure de deux autres à venir, tout en reprenant un roman poétique que j’ai commencé il y a quelques années.
Par ailleurs, je suis en train de répondre à une commande pour un beau livre collectif qui porte le titre provisoire de « Mémoire de nos mères » qui sera publié début 2022 dans la maison d’édition Textuel, Actes Sud.